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pour accorder ces pensées étrangères avec l’immuable vérité qui demeurait toujours la Loi, dictée par le Seigneur dans les éclairs du Sinaï.

Longtemps, ce trésor de pensées était resté le privilège d’un petit nombre d’initiés. Quelques parcelles de ces richesses s’étaient glissées dans le Talmud, où elles brillaient d’éclats furtifs, séduisants et suspects. D’autres avaient reçu l’asile de livres prodigieusement secrets, qu’on ne se passait qu’entre gens dont les lignes du visage et aussi celles de la main révélaient qu’ils étaient nés pour garder le dépôt de ces vérités inouïes. Et puis, un jour, dit la légende, trois Rabbins s’enfermèrent dans une cave pour rassembler tout ce mystère épars. Ils y demeurèrent quarante ans. Le grand prophète Elie était au milieu d’eux. La cave obscure retentissait du bruissement des ailes des milices divines, accourues du fond du ciel pour apprendre des secrets qui leur étaient encore inconnus. Et c’est de cette obscurité remplie de présences célestes qu’était sorti ce Livre de lumière, sur lequel aujourd’hui se jetaient avec avidité tous ces Juifs de Pologne évadés de leur Talmud, le prodigieux, l’extravagant Zohar, le Livre de la Splendeur.

C’était un nouveau Sinaï qui se dressait à côté de l’ancien ; ou plutôt, c’était bien le même, mais celui-ci immatériel. En descendant de la montagne, Moïse n’avait pas tout révélé ! Sous chaque parole de la Thora se cachait un mystère profonds Chaque mot de la Loi avait un double sens, un sens clair et l’autre caché ; et ce sens occulte, formidable, lourd de toute l’énigme du monde, il fallait aller le chercher sous le voile de l’allégorie, comme les plongeurs s’en vont chercher les perles au fond de l’océan.

Ces perles, les trois Docteurs ténébreux les faisaient ruisseler dans leur cave et les amenaient à la lumière. Ils racontaient comment, avant la naissance du monde, les vingt-deux lettres de l’alphabet hébraïque, gravées avec un burin de feu sur la couronne de l’Eternel, étaient descendues de son front, et chacune avait dit : Crée le monde avec moi ! Et Dieu, comme dans une étoffe, avait taillé dans les lettres le visible et l’invisible. La Sagesse et la Royauté, deux pierres du plus précieux albâtre, sont contenues dans l’extrémité supérieure de la lettre alef  ; des millions d’univers sont suspendus à sa queue ; le haut et le bas, le ciel et la terre, les trônes magnifiques du Roi sont