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accrochés à ses faces. La lettre beth est, à la fois, le début de la Thora et le but de la création ; en elle se trouvent contenus les principes mâle et femelle, et de son essence jaillissent les naissances sans fin… Et ainsi les vingt-deux lettres de l’alphabet hébraïque détiennent sous leur pouvoir quelque fragment de l’univers, une part de la terre et des cieux ; et qui possède le secret de leurs combinaisons innombrables peut agir sur les choses sensibles et suprasensibles, et sur la volonté de Dieu même.

Que pouvaient-ils comprendre, ces malheureux Juifs de Pologne, à ces fantasmagories des trois Rabbins ténébreux et à leurs spéculations folles pour expliquer l’inexplicable ? Et qui donc, ajoutant les symboles aux symboles, les allégories aux allégories, les pensées aux pensées, les idées à leurs ombres, comme on ajoute une corde à une corde pour descendre au fond d’un puits, aurait jamais pu prendre pied dans cet abîme sans fond ? Et pour ajouter aux ténèbres, toute cette métaphysique, toute cette Cabbale insensée était écrite dans une langue à peu près incompréhensible, où se mêlent à l’hébreu le chaldéen et le syriaque, et que mille combinaisons occultes rendent plus indéchiffrable encore.  »

Mais de ce livre baroque, le plus divagant peut-être qu’ait produit l’imagination des hommes, émanait pour ces esprits d’Israël une lumière éblouissante, pareille à celle qui éclairait les ténèbres de la cave légendaire. Quand ils lisaient ce vieux grimoire obscur, Isaïe était au milieu d’eux, et ils entendaient sur leurs têtes le bruissement d’ailes des anges. Dans ce Zohar ils respiraient une poésie indéfinissable, telle qu’une intelligence d’Occident n’en peut guère concevoir, quelque chose de mystique et de sensuel, prodigieusement oriental, coloré, brillant et vide. Vide ! que dis-je ? Pour ces Juifs toutes les clefs de la connaissance étaient là ! Ils avaient l’illusion d’entendre la divine musique que fait la clef dans la serrure à l’oreille de l’homme poursuivi par la tempête et qui arrive à sa maison. Tous les mystères du monde visible et invisible gisaient enfermés dans ces mots hébreux, chaldéens et syriaques. Ils le savaient, et cette certitude faisait qu’en murmurant ces phrases qu’ils ne comprenaient pas, ils croyaient remuer des diamants et des perles, et proférer des vérités auxquelles les anges sont attentifs et dont ils tressent des couronnes autour du trône de l’Éternel…