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sacrifiées le soir des noces. Vous n’en trouveriez pas où, dans la synagogue, on se balance pendant la prière avec plus de frénésie, où l’on fasse claquer les doigts avec autant de vigueur, où les regards fiévreux s’épuisent à déchiffrer avec plus de passion le Livre de la Splendeur ; où l’on apporte plus de rigueur dans les jeûnes et plus d’entrain aux grands banquets du sabbat ; où l’odeur de la pipe enfin, mêlée à celle de la boue et de la laine humide, emplisse le saint lieu d’une atmosphère plus intime.

Pas un jardin, pas une fleur. Car si vous voyiez quelque part, à la porte ou à la fenêtre, un géranium ou un œillet, alors vous pourriez dire : « Que fait ici ce géranium ? Quel démon a placé la cet œillet ?  » Ni chat, ni chien dans les maisons ; aucune de ces bêtes impures dont le seul contact vous souille. Mais je me trompe, il y a des chiens dans la Communauté sainte ! seulement des chiens si étranges qu’on ne peut vraiment leur donner ce beau nom de chien qui exprime la fidélité, le courage, le bondissement joyeux et la passion de la caresse. Par bandes de trente ou quarante, quelquefois davantage, on les voit, deux fois par jour, arriver des bois voisins dans la petite ville juive, où ils viennent dévorer les déchets de viande et de volaille que la religion d’Israël interdit de consommer dans toute bête abattue. Squelettiques, le poil terne, les oreilles pointues, tout semblables à des loups, ils approchent sans bruit, d’une allure de fantôme, évitant avec soin le village chrétien, où dans toutes les cours, devant toutes les portes, des chiens, de vrais chiens d’hommes, aboient dans leur colère joyeuse et sans raison. Eux, ils n’aboient jamais, ces chiens des bois, ces chiens des Juifs. Ils semblent avoir perdu la voix, perdu la voix depuis toujours. Vous pouvez les frapper, jamais un cri, un hurlement, une plainte. Jamais non plus une révolte, jamais un geste de colère, jamais les lèvres relevées sur les dents blanches. Depuis des siècles, ils sont si habitués à recevoir les coups de pied qu’on leur donne en passant, — non certes par brutalité, car de son naturel le Juif n’est pas cruel, mais simplement par habitude, par mépris séculaire, par dégoût de la bête impure, — ils sont, dis-je, si habitués à recevoir depuis des siècles ces coups de pied indifférents, qu’ils ne s’étonnent plus, n’aboient plus, ne mordent plus ; ils savent bien, depuis toujours, que les choses doivent être ainsi : ils acceptent et voilà tout.