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choses. Elle a permis à l’Angleterre de réaliser une partie au moins des gains qu’elle pouvait espérer par l’échange, sans rien échanger. C’est pour elle tout profit.

Telle est la situation nouvelle qui est faite au français. Mais à peine a-t-on admis le partage, qu’on en voit les inconvénients, et qu’on en souffre. À la faveur du double texte, des malentendus se glissent, ainsi qu’il était à prévoir. C’est un perpétuel travail d’adaptation, de correction. Jamais on n’a plus vivement senti, à l’épreuve, que traduire, c’est toujours trahir un peu. Et puis, les nations qui ne font pas partie du bloc anglo-saxon voient sans plaisir une seconde langue surgir à côté de celle qui était universellement adoptée. Elles acceptaient une langue unique, dans l’intérêt général : puisque désormais on partage, le moment ne viendra-t-il pas où chacune d’elles demandera que sa langue soit reconnue, elle aussi, comme langue officielle ? Et de quel droit refusera-t-on ? N’assisterons-nous pas, dans l’avenir, aux éternels recommencements ? Une troisième langue, puis une quatrième, puis une autre encore, pourraient être successivement admises : jusqu’à ce qu’on revînt, pour le plus grand bien de tous, à cette langue unique qu’on aurait dû garder…

Dans la pratique, certains indices permettent de croire que la tradition, qui dans l’espèce n’est qu’un aspect de la logique, ne perdra pas si facilement ses droits. Sans doute, la première publication qui émane de la Société des Nations, son Journal officiel, — 1er février 1920, — a paru dans les deux langues : à cette différence près, que le journal ayant été composé à Londres, le texte français est criblé des fautes d’impression les plus grossières. Mais à la dernière réunion du Comité, l’anglais n’a eu pour lui que l’Angleterre : les représentants de tous les autres pays, sans exception, ont employé le français. — Autre fait : du 1er au 3 décembre 1919, les Associations « qui se sont créées librement dans les divers pays du monde pour recruter, fédérer et organiser les bonnes volontés unies par une foi commune dans la Société des Nations, » se sont réunies pour déterminer les conditions de leur travail commun : choix significatif, c’est à Bruxelles qu’elles ont voulu se réunir. Or la langue française a été employée spontanément dans toutes les séances et pour tous les travaux ; la langue française reste l’organe de l’Union des Associations pour la Société des Nations, désormais fondée.