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II

Tous ces problèmes tiennent à la nature même du sujet et aux conditions intrinsèques de l’art. Ils ne disparaissent donc point, tout d’un coup, parce que l’épreuve de la guerre aura précipité des foules au pied des autels, ni parce que les fidèles désirent voir de nouveaux tableaux de piété dans les églises dévastées. La guerre, en cela comme en d’autres domaines, n’a résolu aucune difficulté : elle les a plutôt aggravées toutes. L’artiste qui n’osait pas aborder les sujets religieux avant la grande catastrophe de 1914, parce qu’il ne savait comment concilier des aspirations contraires de l’esprit contemporain, ne se sent pas mieux à l’aise, s’il lui faut encore y ajouter les suggestions de l’esprit guerrier. Car rien n’est moins guerrier que l’Evangile. C’est si vrai qu’il a fallu aux orateurs de la chaire, quand toutes les volontés devaient être tendues vers la lutte et la victoire, remonter à l’Ancien Testament pour y trouver des textes appropriés. Mais l’Ancien Testament, s’il fournit des textes qu’on peut par la parole expliquer, ne fournit pas des images qui s’expliquent toutes seules aux yeux des contemporains, ni surtout qui les émeuvent. Seule, la figure du Christ a ce pouvoir. Or le Christ ne prêche pas la guerre. Il ne fait que des gestes de paix, de concorde et d’amour. Il ne déchaîne pas la révolte nationale contre Rome ; il commande au disciple de remettre l’épée au fourreau. Si on l’évoque à propos de la guerre, c’est seulement comme un symbole de l’héroïsme sauveur, celui qui meurt pour que les autres vivent : « Tu sais, tu sais mourir… » lui dit le poète du Crucifix, et non à la manière d’un héros de tragédie classique guindé par la philosophie hautaine et méprisante du stoïcien, ni comme le fanatique anesthésié par l’extase et l’entraînement à la douleur, mais avec et malgré toutes les angoisses de la pauvre nature humaine. C’est donc bien le patron du soldat français dans cette dernière guerre. L’artiste devait naturellement ! évoluer. Mais ne trouvant pas dans l’Evangile une scène qui évoquât en même temps la guerre, il lui fallait l’imaginer. Il lui fallait trouver l’action et le milieu où il pût joindre aux images de combat, de blessures et d’agonie, assez réalistes pour émouvoir, l’image divine assez haute pour consoler. En un mot, il lui fallait de toute nécessité, créer un symbole.