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caractère versatile et toujours mal satisfait. Au rejeté très intelligent, flairant de loin, par un instinct curieux, l’odeur du monde occidental, spirituel, comme on l’est en Israël, contre soi-même et les autres, racontant volontiers dans un petit cercle d’amis des histoires drolatiques sur les rabbins miraculeux, et apportant un bon sens très pratique dans les affaires de la Communauté que le Zadik ne voyait qu’à travers la pénitence, les jeûnes, la prière et le Zohar.

Autour des samovars fumants, il y avait, ce soir-là, le Délégué à la mairie, silencieux à son ordinaire, mais qui semblait plus silencieux encore, Reb Alter le grand usurier, le Maitre de poste, le Distillateur d’eau-de-vie, l’Accordeur de mariages, le Président de la société des enterrements, le Secrétaire du Rabbin Miraculeux, le vénérable Hazën, plusieurs autres Instruments de Sainteté. Et tous ces pieux personnages recommencèrent de se perdre en conjectures sur la nouvelle apportée par Mérélé l’Imbécile.

Reb Mosché fit remarquer qu’on s’affolait un peu vite. Après tout, sur ces massacres, on n’avait que les dires d’un poissonnier répétés par un sot. C’était peut-être insuffisant pour mettre tout le monde en émoi ; et, avant toute chose, il convenait d’écrire au Rabbin de Smiara, afin de voir ce qu’il y avait de vrai dans les propos de Baruch.

Tous les assistants l’approuvèrent. Et pendant qu’ils sirotaient, dans un demi-silence, leurs verres de thé au citron, le secrétaire du Zadik rédigea la lettre qui suit :

« Béni soit Dieu !

« Le deux cent quarantième jour de la cinq mille six cent quarante-et-unième année de la création du monde, dans la sainte Communauté de Schwarzé Témé.

« Au Rabbin renommé par sa piété, son grand savoir, sa sagesse et les vertus de ses ancêtres, Rabbi Benjamin Eliezer, que Dieu le garde en vie jusqu’à l’âge de cent vingt ans !

« La sainte Communauté juive de Schwarzé Témé vient d’être douloureusement émue en apprenant les malheurs que la fureur des méchants déchaine sur Elisabethgrad par la volonté de Dieu. Cette nouvelle nous a été apportée par un grand ignorant, et que Dieu au surplus n’a pas gratifié d’une vive intelligence, Mérélé le voiturier. J’ai donc reçu l’ordre du saint Rabbin, faiseur de miracles renommé, de vous écrire la