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toujours la garde, en attendant la sortie du Rabbin Miraculeux. La chambre demeura longtemps close. Le Zadik n’arrivait pas à s’arracher à ses prières. Enfin la porte s’entr’ouvrit, et le petit vieillard apparut, entièrement vêtu de blanc, sa toute petite tête fine écrasée sous le chapeau à grands bords et la calotte de soie noire, d’où s’échappaient sur ses joues maigres deux blanches touffes de cheveux.

Bien que toujours après marew, un grand nombre de fidèles l’attendissent ainsi, chaque soir, pour baiser son caftan, il montra quelque surprise de voir toute la synagogue comme ameutée à sa porte. Déjà, un de ses fils se penchait à son oreille, et lui racontait les propos de Baruch au voiturier. Si le vieillard en fut ému (et pouvait-il demeurer insensible à cette nouvelle infortune qui tombait sur Israël ? ) rien n’en parut sur son visage. D’une voix à peine intelligible, il murmura simplement : « C’est un fléau de Dieu. Il faut jeûner et prier. » Et bien que ces paroles fussent tout à fait attendues, et qu’on n’imaginât même pas qu’il put en prononcer d’autres, elles passèrent comme un souffle frais sur tous les fronts enfiévrés. Puis, les yeux baissés vers la terre, ainsi que l’exige l’étiquette, il sortit du Saint Lieu au milieu de la foule qui se pressait sur son passage et se mettait déjà à l’abri du danger rien qu’à toucher sa robe blanche.

Derrière lui, peu à peu, la synagogue se vidait. Les petites gens regagnaient leurs logis ; tandis que les notables se réunissaient chez Reb Mosché, le fils aîné du Zadik.

Il habitait près de son père une vaste maison, où il y avait toujours des samovars fumants et des gens qui bavardaient. C’était un homme d’une quarantaine d’années, bien différent du saint Rabbi, son père, auquel un jour il devait succéder dans sa charge merveilleuse. Très grand et vigoureux, le teint coloré pour un Juif, rien de mystique dans la mine, il s’intéressait beaucoup plus aux choses de la terre qu’à ce qui se passait dans le ciel, et il priait le Seigneur de permettre que son père (puisse-t-il vivre jusqu’à cent vingt ans ! ) fit des miracles à sa place le plus longtemps possible. Pour lui, en attendant le jour où ce soin lui reviendrait, il s’occupait avec passion de chevaux, qu’il revendait au bout de peu de temps, car il ne les trouvait jamais assez rapides à son gré, et aussi parce qu’il était comme la plupart de ses coreligionnaires, d’un