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détermina ce que devait écrire André Corthis dans les années qui suivirent.

Elle aimait passionnément les couleurs et les formes, les villes lointaines qu’oppressent les splendeurs de leur passé mort, l’aspect et le parfum des campagnes étrangères. Elle aimait aussi, je crois l’avoir dit déjà, cette âme des humbles, dont tous les mouvements sont simples et violents comme les feux du soleil et de l’ombre, à midi, sur le pavé aigu des ruelles ; dont les passions se dessinent aussi nettement que le tronc rouge et tourmenté des chênes-lièges sur le ciel pâli des beaux crépuscules. Elle réussissait, lui disait-on, dans ces peintures. À quoi bon s’inquiéter de chercher autre chose ? Dans Le Pauvre amour de doña Balbine, écrit après un autre voyage en Espagne, à Tolède celui-là, on ne trouve guère en effet que cette recherche du décor curieux, des figures qui ne sont pas d’ici, des âmes violentes. Certaines nouvelles sont dues aux impressions du récent voyage ; d’autres, comme» le Fils, » sont nées de souvenirs plus lointains, de récits faits aux jours de l’enfance par l’Aragonaise au chignon tressé, le soir, quand la petite fille l’appelait auprès d’elle et lui disait : « Racontez-moi des histoires de votre pays. »

Le Pardon Prématuré est de cette même veine. Toutefois, ce goût d’observer les âmes que l’on devinait déjà dans Mademoiselle Arguillis, ce souci de définir, au delà de la simple apparence, les mobiles secrets qui les peuvent conduire, se révèlent de nouveau et semblent se préciser. Les incertitudes et les détresses d’Anita, l’espèce d’égarement dont témoignent ses faiblesses et ses passivités douloureuses, montrent que si elle ne sait bien ni définir, ni combattre les grandes fatalités qui nous veulent asservir, elle les sent du moins passer autour d’elle. Les héros de ce livre, peut-être, n’ont point encore une vie intérieure bien profonde. Mais ils en souffrent, ils s’en inquiètent et leurs plus passionnées violences suffisent mal à les satisfaire.

Ces héros cependant sont encore pour nous des personnages « d’ailleurs, » tirant leur charme du pays peu connu dans lequel ils évoluent, des palais, des jardins, des couvents, sur lesquels pèse un ciel dont nous ignorons les ardeurs… Mais voici que la guerre éclate. Il n’est plus possible que de se tourner vers la France, il n’est plus possible de se laisser émouvoir par autre