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premier lieu, présentées à la Chambre des députés et votées par elle. » Mais cet article laisse dans l’ombre plusieurs points essentiels. La Chambre a-t-elle simplement, dans les questions financières, un droit de priorité ? Lorsqu’elle a, par exemple, repoussé un crédit, le Sénat le peut-il rétablir? Lorsqu’elle a voté un impôt, le Sénat est-il libre d’augmenter la charge qu’elle a jugé bon de faire peser sur les contribuables ?

La controverse a commencé dès le mois de décembre 1876, à l’occasion de certains relèvements de crédits que proposait la Commission sénatoriale des finances. Le rapporteur, M. Pouyer-Quertier, se défendait d’avoir voulu provoquer un débat théorique sur les droits respectifs des deux assemblées et prenait soin d’indiquer que les crédits Litigieux avaient été, d’abord, demandés par le gouvernement, que la Chambre les avait écartés et que la commission du Sénat se bornait, en réalité, à en demander le rétablissement. Les crédits augmentés revinrent en discussion devant la Chambre. Dans la séance du 28 décembre 1876, Gambetta, qui était alors Président de la Commission du budget, s’éleva avec force contre la prétention du Sénat. « Lorsque le gouvernement vous a présenté un projet financier, dit-il aux députés, et que vous l’avez supprimé, il ne reste rien, rien qu’une feuille de papier. Une motion ministérielle ne reçoit la vie légale qu’à la condition que vous y avez appliqué votre ratification. Si l’autre Chambre n’a pas le droit d’initiative, elle ne peut examiner et voter un crédit qu’après que cette Chambre l’a voté. Où le Sénat puiserait-il le droit d’initiative? Ce n’est ni dans l’article 8, ni dans les précédents. Ce ne serait donc que dans sa volonté. » A quoi Jules Simon répliquait avec sa bonhomie souriante : « En rétablissant les crédits, le Sénat ne crée pas l’obligation d’une dépense. Est-ce que vous n’êtes pas là? Quand le Sénat a voté, qu’avez-vous devant vous? Une proposition du Sénat. Ce n’est pas une loi tant que vous n’y avez pas adhéré. » Les partisans de chacune des deux thèses couchèrent sur leurs positions respectives; mais les Chambres, plus conciliantes, se rapprochèrent sans effort dans des combinaisons transactionnelles, une partie des augmentations étant maintenue, les autres étant rejetées.

Un arrangement analogue est intervenu toutes les années suivantes, et le Sénat s’est même, en général, résigné, de bonne grâce, à céder aussitôt après le premier refus de la Chambre. Le 14 novembre 1881, le Cabinet présidé par Gambetta a déposé un projet de révision dans lequel cette solution de fait devait recevoir une consécration légale. « Les remontrances, les observations du Sénat une