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Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/308

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Je songeais à tout cela, l’autre jour, à Alger, sur le quai de l’Amirauté, près des vieux palais barbaresques dont les petites fenêtres grillées regardent la mer retentissante, qui


Là-bas, d’un flot d’argent brode les noirs flots…


ou bien sous les eucalyptus et les pins en parasol du jardin Marengo, au pied de la colonne commémorative, où se lit cette inscription touchante et naïve : « Belvédère du 15 juin 1830. Dédié aux braves de la jeune et de la vieille armée par un vieux grognard. »

De la terrasse ombragée où j’étais assis, je percevais la rumeur laborieuse de l’Alger moderne, devenue une grande ville de deux cent mille habitants, une véritable capitale, et je mesurais, avec un frémissement de joie patriotique, le chemin parcouru depuis 1830, depuis le temps où le « vieux grognard » bâtissait sa colonne, et même depuis 1890, l’année où je débarquai pour la première fois devant la Mosquée Blanche et le triangle neigeux de la Casbah.

Au loin, à travers les éventails des palmiers, je voyais s’enfler et resplendir le bleu de la mer. J’entendais le grondement presque continuel des lourds camions automobiles, des formidables trains de camions qui, au bas du jardin, ébranlaient la chaussée et les buildings en arcades des avenues toutes neuves. Mais le vieux petit jardin, à l’aspect provincial, restait paisible et modeste comme autrefois. Presque rien n’y avait bougé au milieu des convulsions et des bouleversements des nouveaux quartiers. Tout était propre et rangé. Comme autrefois, les petits employés, les retraités du voisinage lisaient leur journal sur les bancs. Le jet d’eau s’égouttait doucement dans sa vasque pleine de grenouilles. Et, tout en haut du jardin, entre les fleurs violettes des bougainvilliers, je distinguais toujours les koubas immaculées et les faïences peintes de la mosquée de Sidi Abd-er-Mhaman. Devant ce spectacle contrasté, ce calme paysage colonial, resté à peu près le même depuis un demi-siècle, et le tumulte de la ville neuve en transformation perpétuelle, voici que je retrouvais, dans toute leur fraîcheur,