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M. Natorp, professeur à l’Université de Marbourg, écrivait :

« Nous avons été trop bien gouvernés ; c’est pourquoi nous n’avons pas appris à nous gouverner nous-mêmes. »


La destinée tragique du peuple allemand tient dans ces simples mots. Et, dans le même journal, avant même que lut signé l’armistice, le romancier Paul Ernst se livrait à de suggestives réflexions.


« Si nous avons perdu la guerre, disait-il en substance, ce n’est pas en raison de la condition mondiale formée contre nous, c’est par notre propre insuffisance. Notre malheur ne vient que de nous ; il ne dépend que de nous de nous relever. Il nous a manqué cette vertu qui donne aux autres leur véritable valeur : le courage moral. Nos prétendues vertus ne furent que des vertus de fonctionnaires subalternes. Ce que nous appelons sentiment du devoir n’est, au fond, que lâcheté envers les exigences de notre être supérieur. Victorieux, nous eussions couvert la terre entière de casernes et de fabriques. Notre organisation si vantée eût étouffé toute vie individuelle et vraiment psychologique. Pourquoi sommes-nous le pays modèle de l’organisation ? Parce que, chez nous, les individus ne savent pas se proposer à eux-mêmes un but d’action. Ils préfèrent tous être des instruments dociles entre les mains d’autrui. Nous accusons les autres peuples de haïr l’esprit allemand ; c’est nous qui le haïssons, nous, le peuple de l’organisation, de la science, des fabriques et des casernes. C’est nous qui, par lâcheté, avons désiré l’état autocratique. La lâcheté morale consiste à se mentir à soi-même, à s’imaginer qu’un ordre extérieur peut se substituer aux exigences secrètes de la conscience. Il faut que nous naissions à la vie politique. Le changement de régime n’est qu’un moyen. La réforme nécessaire doit aller plus profond. Nous avons à retrouver la première des vertus viriles : le courage de se fixer à soi-même son destin. »


On ne saurait mieux dire. Mais sont-ils nombreux, les Allemands capables d’écrire une telle page ? Qu’on oppose aux aveux de P. Ernst ce qu’écrivait, dans la Deutsche Allgemeine Zeitung du 19 août, le professeur Georg Ausschütz :


« La politique future de l’Allemagne doit être une politique de la « Kultur » et elle doit être fondée sur un principe moral. L’Allemagne, mieux qu’aucun autre pays, est destinée à devenir le représentant de ce principe moral dans la politique extérieure. Elle est la patrie de la culture universelle et humanitaire ; ses chefs