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Christophe est malaisément accessible d’abord à qui l’entend, puis à qui, fatigué, terriblement fatigué de l’avoir entendu, souhaiterait de le lire « à tête reposée, » comme on dit, ou plutôt comme on disait naguère. En vérité, pour le lecteur et pour l’auditeur, il est bien question maintenant de repos ! « J’aime les soirs sereins et beaux. » N’attendons plus que la musique nous donne des soirs de ce genre. À l’Opéra, longtemps avant Christophore, en écoulant sa légende, nous avons ployé, mais non sous le poids d’un Dieu. Notre ingénieux confrère M. Henri Bidou nous assurait dernièrement, à propos de Shakspeare, que « sans trop nous en rendre compte, nous allons vers un art libre, léger, vers une musique qui se joue sur toutes les libres de l’univers. » Est-ce ainsi que se joue la musique de Saint-Christophe ? Nous ne nous en rendons pas très bien compte, mais un art léger, libre, n’est assurément pas l’art de M. Vincent d’indy.

Un art humain, un art vivant, émouvant, celui-là moins encore est le sien. L’école distinguait lus opérations intellectuelles et les opérations sensitives. La Légende de saint Christophe nous paraît appartenir presque tout entière à la première catégorie. Peu de jours après Saint-Christophe, nous écoutions, une fois de plus, cette Pénélope à laquelle on ne saurait trop revenir, pour la mettre, la maintenir à son rang, l’un des premiers dans la musique française de notre temps. Nous admirions quelle part y est faite, en même temps qu’à l’esprit, à l’âme ; avec quelle délicatesse toujours, parfois avec quelle puissance et jusqu’à quelle profondeur, une phrase, que dis-je, un accord, une note, un mot, un accent, instrumental ou vocal, de cette musique-là nous touche et nous pénètre. Mais, dans l’ordre du sentiment, il n’est pas jusqu’à M. d’Indy qu’on ne puisse opposer, et préférer à lui-même. Fervaal autrefois, l’austère et souvent aride, obscur Fervaal, ne laissa pas, surtout à la fin, de nous émouvoir. Elle était, cette fin, simplement admirable, et de plus, — l’interversion des mots est significative, — elle l’était simplement. Elle l’était par je ne suis quel don et quel abandon généreux, par l’effusion d’une sensibilité libre alors de toute contrainte et de toute rigueur, par l’éclat d’une passion à la fois humaine et surnaturelle qui, venue du cœur, allait au cœur, et nous emportait très haut, sur des sommets très purs. C’est de ce dernier acte que M. d’Indy nous écrivait naguère : « J’ai essayé là de rester aussi latin, c’est-à-dire aussi purement expressif qu’il était possible à mon tempérament. Je n’y ai peut-être pas réussi, mais je vous assure que j’ai essayé avec bonne foi. » Il y avait réussi. Latin, au sens le plus large du mot, et non seulement latin, mais romain,