Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

debout, tombant au creux de chaque lame, d’une chute raide et courte, avec ce choc sourd qui disloque à la longue la membrure des bateaux, — fouettés par les paquets d’eau dont le sel brûle les lèvres et les yeux.

Maintenant les grands bois, les châtaigneraies dont les branches avancent au-dessus des varechs, commençaient à se fermer autour d’eux. Il s’en allait, le rude bateau de la mer, dans un paysage de légende, où rien ne parle de l’histoire humaine, et dont le silence n’est rompu que par le long croassement spacieux des corbeaux, et le triste appel des courlis rasant une grève. Il s’en allait et ne semblait pas bouger, porté par l’onde puissante qui montait sans bruit, tout entière, d’un seul mouvement, en s’élargissant peu à peu, couvrant les grèves et vasières, jusqu’à remplir de son immortelle pureté tout l’espace entre les épaisseurs sylvestres des deux rives. À cette distance, on ne distinguait plus les marins ; il n’y avait plus, au fond de la longue perspective, sous la grisaille abaissée du ciel, que la voile rouge qui s’éloignait insensiblement avant de disparaître au lointain tournant du fjord, derrière les chênes d’un promontoire.

Elle aussi, dans la magie du soir, devenait une chose de légende, participait du silence, du mystère et de l’antiquité de la forêt. Elle aussi cessait d’appartenir au présent. C’élait, au fond des siècles, la barque-fée d’Artur, portant vers quelque profonde retraite du pays kymrique le roi fabuleux qui va dormir là, à l’ombre d’un bois secret que seule visite la mer, loin des vivants et de leurs bruits, son long sommeil de mille années.


LES VILLAGES

Quand on arrive du large, on découvre, à droite, au bord de l’estuaire, la grise aiguille d’une église. Ce fin clocher à épines, surgissant d’un quinconce d’arbres, c’était alors la première chose humaine qu’on voyait en rentrant des étendues vides.

Comme il parlait, ce clocher, de vieille vie bretonne, cachée là, mariée, de tout temps, à ce calme paysage d’eau marine et de grands bois ! Les harmonies anciennes étaient encore pures, les choses humaines, modestes, anonymes, aussi naturelles, semblait-il, que les choses de la nature. De la pointe jusqu’à