Paris, le 20 mars 1906.
EMINENCE,
L’Académie Française ne fera certainement pas de déclaration, fût-ce à huis clos, sur le point de savoir si le successeur du Cardinal Perraud sera ou ne sera pas un ecclésiastique. Ces déclarations ne sont pas dans nos usages, et quoi qu’il en puisse être au fond, nous ne votons jamais que sur des noms ou des personnes.
Je suis d’ailleurs assez embarrassé, personnellement, de donner à Votre Eminence les indications qu’Elle veut bien me demander. Je ne le suis pas personnellement. Personnellement, j’ai des engagements, s’il se présente, envers M. de Ségur, qui est un de mes anciens amis, un brillant collaborateur de la Revue, et qui déjà, deux ou trois fois ; s’est effacé si galamment, que nous ne pouvons pas lui demander de le faire une fois encore. Posera-t-il si candidature ? S’il ne la pose pas, je suis tout acquis à Votre Eminence, et prêt à faire pour Elle tout ce qui dépendra de moi, et d’ailleurs heureux de pouvoir lui dire que ce « tout » ne sera pas grand’choss. L’élection ira toute seule. Mais si M. de Ségur pose sa candidature, c’est ici la question délicate, et il s’agit de savoir si Votre Eminence devra néanmoins poser la sienne. Mais c’est ici aussi que je suis embarrassé, et que je ne sais trop, Monseigneur, quelle indication vous donner. Que vous dit-on d’autre part ? et qui avez-vous consulté ? Croyez-vous que, devant votre candidature, M. de Ségur retire la sienne ? S’il ne la retire pas, convient-il à votre dignité de courir la chance de l’élection ? Dans quelles conditions, et avec quels appuis — mais j’entends quels appuis certains — irez-vous à cette élection ? Ce sont autant de questions auxquelles seule Votre Eminence peut répondre : et autant de difficultés sur lesquelles, pour ma part, je n’oserais rien lui dire qui ressemblât à un « conseil. » Elle verra et elle jugera.
En résumé, si M. de Ségur se présente, je voterai probablement pour lui, et d’autre part, je ne puis pas prendre sur moi de lui conseiller de ne pas se présenter. Mais s’il ne se présente pas, je suis tout entier à Votre Eminence et de ceux qui n’épargneront rien pour lui ménager une belle élection. Hêlas ! j’aurais été heureux de pouvoir m’y employer tout de suite, et de tout cœur, sans restriction ni condition, mais on n’est pas