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semblent, avec leurs figures toutes rasées, leurs physionomies de sagesse et de religion, des survivants de l’ancienne France.


C’est le dimanche surtout, sur la petite place au bord de l’estuaire, qu’apparaît le caractère profond et si traditionnel de ce monde. À dix heures du matin, les cloches finissant de tinter, toutes les coeffes du pays sont à l’église, en rangs serrés dans l’ombre tiède comme un peuple de blanches mouettes et d’abord on ne voit qu’elles, car les hommes sont au fond, obscurément massés dans les deux ailes. Souvent la nef est pleine à déborder. Au dehors, près du porche, des femmes, des enfants sont agenouillés, en beaux groupes de type ancien. À côté d’eux, en respirant l’odeur des varechs, et parfois, si l’on approche de la porte entr’ouverte, une tiède bouffée ecclésiastique, on entend l’antique, émouvante mélopée de l’officiant, et, tout d’un coup, le sourd, rapide et nombreux murmure de l’assemblée, comme d’une eau souterraine qui se répand. J’aime à écouter là l’interminable appel des morts de la paroisse. Mais il faut être patient et bien savoir le breton pour suivre jusqu’au bout le sermon de M. le Recteur.

Et enfin, c’est la sortie. Heureuse réunion de tous sur le parvis, visages détendus après le devoir religieux accompli, salutations et compliments, bonne sensation de vie commune, et d’ordre, de netteté, de repos dans les belles parures du dimanche. Les femmes ont la fierté de leur tenue : en grands cols soigneusement tuyautés (on met un fétu de paille dans chaque pli pour les repasser), elles ont épinglé sur le drap noir et le noir velours de leurs corsages, de noirs devantiaux de soie brochée. Une longue et fine chaîne d’or rehausse la riche sévérité d’un tel costume, dont l’harmonie, comme en certains portraits de vieux maîtres hollandais, est dans le terne et le brillant de ces noirs. Point de bigoudens en plastrons éclatants d’orange ou de citron : toutes celles qu’on voit ici pendant, la semaine ont repassé leur frontière et sont sur l’autre rive. Mais il y a quelques belles de Quimper dont le minois paraît plus innocent et plus fin sous la mitre, dans les brides de dentelles qui le serrent obliquement. Il y a des bébés en robes d’infantes, en béguins brodés de vertes et rouges fleurettes, ou tout pailletés d’argent. Il y a des mères-grand courbées sur leur bâton, dont les collerettes plissées sont de linge mou, comme celles