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d’autrefois. Il y a des fillettes qui portent le même vêtement que ces grand’mères. Et l’on s’aborde, on jase par groupes. Le contentement, l’amitié éclairent les figures. C’est le propre du pays : la vie y est fraternelle, collective. Les filles aiment à se réunir pour coudre ou tricoter ; les marins des petits ports voisins pèchent ensemble par équipages, par flottilles, se reposent ensemble, accoudés par groupes sur le quai. Et dans cette communauté du travail, du repos et du plaisir, par ce rapprochement des individus si pareils, la civilisation locale s’entretient. On sent vraiment une société, bien mieux, par exemple, que dans la Bretagne du Nord, celle de Perros et de Tréguier, où chaque famille tend à s’isoler, où les pêcheurs se jalousent facilement, où les réunions traditionnelles des veillées, des pardons, sont bien plus rares.

D’année en année, je retrouve ce petit monde qui n’a pas encore commencé de se dissocier, insensible encore aux souffles du dehors, lesquels sont actifs, pourtant, à quelques lieues d’ici, en certains grands ports sardiniers où l’usine a déjà posé la question sociale. C’est tout le pathétique de la Bretagne, le passage trop brusque, sans les transitions que le reste de la France a connues, des formes arrêtées et presque médiévales de la vie, aux modes si instables, inachevés, à toutes les excitations du milieu moderne.

Ceux-ci, qui naquirent autour de cette église et de cette cale, ne savent, guère que leurs fermes et leurs bateaux, leurs travaux et leurs fêtes, qui reviennent comme les marées et les saisons, — et ce paysage dont les lignes composent une figure, une figure si distincte, presque personnelle, associée pour toujours à leurs vies.


Sur la cale, où l’on n’est jamais seul, on pourrait passer des heures à ne rien faire. On est content d’écouter les vieilles histoires d’Yvon : « Un jour, sur la Souvenance, que j’étais à serrer un hunier… » ou bien les confidences de Jean-Marie : « J’ai mis des palanques dehors, sur la basse de la Voleuse… » On est content de se laisser prendre les yeux par le mouvement du petit port, l’humble va-et-vient, sur la rivière, de ces hommes et de ces bateaux dont on a fini par connaître tous les noms, et qui s’affairent sans hâte aux vieilles, patientes besognes