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maritimes. De ces simples modes de l’activité humaine, qui furent les mêmes de tout temps, invariables comme les travaux des champs, je ne sais quel sentiment de sagesse et de tranquillité, d’accord ancien avec la nature, se dégage toujours.

Le flot commence à s’établir : voilà Jean-Louis qui revient des Glénans où il a passé la nuit à charger du sable. Le vent mollit ; il se met aux avirons, il va profiter du courant pour continuer jusqu’à la ville.

Voilà le petit cotre du pilote de mer, qui largue là-bas son corps mort.

La Marie rentre à la godille ; elle amène sa misaine. Le patron et le mousse prennent leur plate pour gagner la cale. Ils ont été faire la pêche aux pironneaux sur le plateau des roches qui déborde Saint-Gilles. Leurs deux paniers sont pleins d’argent palpitant et fluide.

On entend un ferraillement de chaînes : c’est la goélette anglaise, arrivée hier soir, qui haie ses ancres. Elle évite, et je lis sur l’arrière le nom de son port d’attache : Truro, — un nom bien celtique. Ils viennent de l’autre Cornouaille, celle d’outre-Manche, d’où partirent, au VIe siècle, les ancêtres qui peuplèrent cette partie de l’Armorique, et, sans doute, lui donnèrent son nom. Entre les Bretons du Sud-Ouest de la grande île, et ceux de la petite Bretagne, ils continuent l’ancien commerce dont les navigations des vieux Saints kymriques furent les commencements légendaires. Ils ont traversé la mer que parcoururent saint Efflam et saint Guénolé. Ils connaissent bien cette côte, qui doit leur rappeler leur pays : secrets et profonds estuaires, âpres landes, terre maigre et rocheuse sous un ciel doucement voilé.

Les voici qui prennent le pilote de rivière. Ils vont monter avec la marée dans le silence des bois bretons. Dans quelques heures, ils arriveront au canal étroit par où cette grande eau se termine entre deux murs de pierre, — le canal qui reflète, avec l’ombre d’un petit pont, les deux flèches grisés d’une cathédrale.


Maintenant le bac va partir. Il est amarré à la grève ; on a mis des planches sur les goémons pour que deux chars à bancs qui attendent puissent embarquer. C’est très difficile, de caser ces deux hautes voitures, avec leurs chevaux, dans le radeau creux