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l’écoute de misaine choquée en grand, nous n’avons plus qu’à nous laisser aller entre les deux aurores croissantes du ciel et de la mer. Passent lentement les promontoires, les bouquets de pins suspendus dans le vide ; passe le petit bois dont la pente vient tomber sur les varechs (un long vol de mouettes ourle de blanc sa verte tapisserie), fassent les champs, les landes, un manoir, et déjà c’est le Coq, la bouée rouge, dont le rouge coule, ondule, tournoie profondément dans son reflet, le courant par dessous, se brisant à une roche.

Sans mot dire, près de moi, le poing au menton, le plus vieux, qui semble très vieux, l’air triste et maladif, regarde passer ce paysage de toute sa vie.

Tintement de l’angélus, deux notes, fluides, toutes pures, qui s’égouttent sur le grand silence, et puis reviennent. À l’arrière s’éloigne le fin clocher à jour, gris sur les petits cirrus gris.

Mais, déjà, la baie commence à s’ouvrir, et aussitôt un faible, nombreux, profond bruissement nous arrive, et se prolonge : un peu de ressac, la respiration de la mer tout au long de la pointe de Combrit. Avec quelle tranquillité souveraine se poursuivent ses ondes ! Elle respire, mais elle dort, et les jeux d’ombre bleue, les lignes de gris et de rose, qui fuient, se suivent, s’entremêlent sans arrêt par-dessus ce profond et rythmique gonflement, semblent une fantasmagorie de rêve dans un sommeil.

Ce qui n’a pas l’air d’un rêve, c’est le bateau, un vieux sardinier de vingt-quatre pieds, si grossier, et gluant comme un poisson, puant le poisson, avec des relents de vieille eau de cale. Il est plein d’un humide pêle-mêle : cordages, lignes, chaînes, casiers, lièges, (avirons, crochets, — toutes choses qui parlent de dur travail quotidien.

L’ancien, qui regardait passer la rive, se lève, ouvre le coffre, y farfouille et en tire des tourteaux. Avec une hachette, il commence à les briser : de la boette pour les casiers. Mais le voici qui s’arrête, et, de la tête, montre quelque chose à l’avant : « ar brizli ! » Les maquereaux. C’est tout un banc qui danse à la surface. Innombrable bouillonnement où passent des éclairs, et que nous traversons. Ils sautent à deux pieds de nous. Voilà plusieurs jours que c’est comme ça, le matin, à l’entrée de la rivière. « Pas la peine de perdre du temps avec ceux-là, » dit Jean-Marie. « Ils sont à jouer. Ils ne mordent pas. » Pure joie de la vie, j’imagine, sous les influences du beau temps, de l’eau