Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les hommes de la campagne qui, ce jour-là, viennent voir chez eux les hommes de la mer. Et l’on danse ferme après vêpres. Souvent, sous les vieux chênes du port, on voit des cols bleus, des gars du pays, venus en permission du service. Quelles farandoles ils mènent, jusque sur la cale, tirant à bras tendus les filles bigoudens, les belles filles puissantes et folles de plaisir, qui tanguent comme des chaloupes, or et noir, sous le pavois de leurs rouges rubans !

Un petit monde complet, dont nous faisons lentement le tour, par des sentiers où traînent des goémons mouillés, de rouges carapaces d’araignées de mer, des écailles de poissons. Beaucoup de marmaille sur la grève, où les quilles de bateaux ont laissé d’humides sillons, — les « mousses » de huit et dix ans vêtus de pantalons tannés comme ceux des anciens, les fillettes en bonnets à trois pièces d’où s’échappent des mèches d’or, en graves robes ballantes de drap noir : tous ces petits, aux yeux d’un bleu si neuf, galopant et galopinant en sabots, grimpant dans les barques, poussant dans l’eau de précieux morceaux de bois qui figurent des bateaux, péchant, de la cale, des crabes avec une épingle au bout d’une ficelle : les jeux de l’enfance copiés de la vie sérieuse. Des moutards qui ne portent pas encore culottes godillent comme des hommes dans les plates de leurs papas. A peine debout sur leurs jambes, ils ont couru à la grève ; ils sont chez eux, sur l’eau, comme, au sortir de l’œuf, une couvée de courlis.

Plus haut, sur le quai, dont la courbe suit dans un demi-jour vert le creux profond du havre, se tiennent les femmes et les jeunes filles : des Bigoudens toutes harnachées de jupes rondes comme des cloches, avec l’extraordinaire coiffure qui signale leur espèce : on dirait deux quartiers d’orange posés au-dessus des oreilles, de chaque côté de la courte mitre et d’une nappe de cheveux unie et lustrée comme du bois verni.

En plastrons de travail, tout usés, mais dont quelques-uns furent d’un or magnifique, pieds nus, — des pieds demi-cornés de faunesses, — elles tricotent, rapiècent des hardes, par groupes, sur la pierre disjointe, au seuil des masures, à côté des cirés accrochés, des avirons appuyés au mur et des monceaux d’ajoncs séchés, qui flamberont clair sous les chaudrons de soupe dans les âtres noirs. Autour d’elles chancellent les tout petits, des marmots engoncés, comme leurs mamms, en robes à