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LES
RELATIONS INTELLECTUELLES
ENTRE FRANCE ET POLOGNE

NOTES ET SOUVENIRS

Les dures réalités de l’histoire, oui, je les savais.

Depuis l’égorgement de la Pologne, je savais que l’Europe n’était pas seulement, selon le mot du Père Gratry, « en état de péché mortel », mais appauvrie moralement et désaxée. Du jour où avait cessé de rayonner dans l’Est ce riche foyer de culture latine et occidentale, le continent était en déséquilibre intellectuel aussi bien que politique.

Mais dans cette redoutable aurore du XXe siècle, lorsque chaque année sonnait plus bruyamment le glaive germanique à demi tiré du fourreau, avions-nous le droit de nous appesantir sur cette vieille iniquité ? Contre la menace teutonne, l’alliance russe n’était-elle pas la seule assurance ? L’ébranlerions-nous à plaisir par des manifestations dénuées de sanctions ?

Certes, la Pologne veillait, vivante, dans nos cœurs. Mais nous répugnions aux effusions d’un sentimentalisme qui, demeurant verbal, nous humiliait comme une hypocrisie ou un aveu de faiblesse, qui, prenant la forme d’une intervention dans la politique intérieure de la Russie, nous menait peut-être à un désastre. Sans relever la Pologne, France écroulée d’hier, n’allions-nous pas faire demain, de la France affaiblie et isolée, une autre4Pologne ? Le temps n’était plus où toute cause juste