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certainement la routine de sa bureaucratie qui tient en échec son libéralisme. N’y a-t-il pas moyen de faire appel à celui-ci ?…. Je vois encore, sur les bords de la Neva, le haut personnage, d’ailleurs infiniment distingué, auquel je m’adresse, me couler un regard effaré, se recroqueviller, se mettre en boule… Oh ! notre diplomatie de parent pauvre !

De retour à Paris, j’essaie, dans un ou deux articles, avec toute la mesure indispensable, de traiter la question. Il y a là une situation internationale qui crève les yeux. Une Pologne tenue par la Russie dans une tutelle équitable, franchement ralliée par ses bons procédés, c’est toute l’atmosphère de l’Europe centre-orientale qui se transforme. L’Autriche perd le mérite apparent de sa modération fallacieuse, l’Allemagne se découvre dans son attitude d’oppression brutale.

C’est ce qu’il ne faut pas. Avec un cynisme qui déconcerte, un grand journal officieux de Pétersbourg me répond et met les points sur les i. Non, la Russie, sans méconnaître les inconvénients de sa politique polonaise, n’en changera pas. Pourquoi ? C’est que Berlin ne le permet pas. Berlin exige une Pologne asservie. Alléger ses chaînes serait presque un casus belli. Que la France se taise, puisque l’Allemagne parle. Atterrante déclaration qui jette un jour effarant sur les dessous de notre alliance et les forces qui la contrebalancent.

Si les lèvres officielles demeurent closes, sachons au moins montrer à la Pologne que les consciences individuelles ne se taisent pas et que le bruit des armes qui grandit en Europe n’y abolit pas totalement les notions du droit et de la dignité. 1911 est l’année où l’affaire marocaine dresse face à face France et Allemagne, fait toucher du doigt combien est précaire l’équilibre mondial. 1912 voit éclater la guerre balkanique, et tout de suite ses répercussions se dessinent. Quand je reviens à l’automne faire quelques conférences à Varsovie, à Lodz, à Dombrowa, je trouve les esprits en ébullition. Entre l’Autriche et la Russie, la situation se tend chaque jour. De part et d’autre de la frontière de Galicie, les préparatifs militaires s’activent. Le courant austrophile que je sentais si fort, il y a deux ans, est en pleine déroute, à l’effarement presque comique de ses tenants… C’est que, dans l’autre plateau de la balance mondiale, il y a la France. « Mais, monsieur, est-il possible que vous vous fassiez de telles illusions sur la force