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insidieuses ou brutales de ses prétendus libérateurs, qui déguisent mal, sous le masque de l’autonomie, la plus effroyable dévastation de ses ressources.

Toutefois, n’est-il pas à craindre qu’une fois de plus, — cela leur est déjà arrivé si souvent ! — les hommes politiques de l’Entente ne se laissent égarer, qu’une fois de plus la Pologne ne paye d’une cruelle méconnaissance le malheur de sa position géographique ?

Heureusement un Comité national polonais, composé de patriotes qui ont pu fuir avant que s’abattit sur leur pays la despotique emprise allemande, est reconnu à Paris par les Alliés, et se trouve en état d’affirmer et de prouver que la Pologne est avec eux. Avec sa collaboration, sous la direction d’un des plus illustres vétérans de nos guerres coloniales, le général Archinard, se constitue sur notre territoire une armée polonaise nationale, dont les premiers éléments sont recrutés parmi les volontaires polonais accourus d’Amérique à l’appel du grand citoyen Paderewski, ou parmi les prisonniers posnaniens qui sollicitent l’honneur de combattre contre leurs oppresseurs[1].

C’est une émouvante journée, une journée historique, que celle où, entre Reims et Châlons, à quelques kilomètres de la ligne de l’eu, au ronflement de la canonnade et sous le vol des avions, nous vîmes un prêtre polonais célébrer la messe, recueillir le serment de fidélité des troupes, et le général Gouraud effleurer de ses lèvres la soie des drapeaux amarante à l’aigle blanche, offerts par les villes de Verdun, de Nancy et de Belfort à la jeune armée qui va représenter la Pologne ressuscitée aux côtés des Alliés dans la grande bataille de la libération.

Peu de semaines après, le général Haller, échappé aux bolcheviks, venait en prendre le commandement. En le lui remettant, près de Bayon, le général de Castelnau, dans un frémissement respectueux de l’assistance, corrigeait le mot historique douloureux et désormais périmé : « Messieurs, aujourd’hui, Dieu est descendu à vous, et la France est plus près. »

L’armée polonaise a sa place marquée dans la grande

  1. Il convient de rappeler que les premiers promoteurs de l’armée polonaise en France furent M. le conseiller d’État Tirman, qui présida à toute son organisation administrative, et le lieutenant-colonel Adam de Mokiéjewski.