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Napoléon ; mais voici la Restauration, et, cette fois, le traité de Paris va nous être une leçon de choses et un enseignement d’histoire diplomatique. Le général Lyautey s’est donné le plaisir de lire cette page des instructions de Louis XVIII à Talleyrand, en septembre 1814 : « En Allemagne, c’est la Prusse qu’il faut empêcher de dominer en opposant à son influence des influences contraires. La constitution physique de cette monarchie lui fait de l’ambition une sorte de nécessité. Tout prétexte lui est bon. Nul scrupule ne l’arrête. La convenance est son droit. » En lisant ces lignes, le général Lyautey, après avoir fait l’éloge de la monarchie, a-t-il seulement montré la clairvoyance de Louis XVIII ? N’a-t-il pas tracé un programme politique ? Il y a dans son discours une phrase singulièrement pénétrante. Il a marqué que, pour être bon Français, il fallait être bon Européen. Il parlait pour Talleyrand. Au fait était-ce bien pour Talleyrand ? On se tromperait fort en croyant que les discours académiques sont des jeux littéraires. Ils sont parfois l’occasion solennelle d’une profession de foi, un témoignage public, et la salle des séances est devenue l’arène des confesseurs.

Un rappel de l’union sacrée a valu une ovation à M. Poincaré, qui, dans les deux mots de cette formule éloquente, a défini pour l’histoire l’âme de 1914. La piété, l’ardeur, l’héroïsme fraternel des Français, ce sont tous ces grands souvenirs que la salle entière, tournée vers le président, a acclamée avec lui, reconnaissante, comme le sera la postérité, envers l’homme qui a confirmé le sentiment commun en lui donnant un nom.

Après avoir salué la mémoire du vicomte de Vogué et du comte Albert de Mun, qui furent ses amis, le général Lyautey a terminé par une apologie de la politique coloniale, qu’on attendait de lui. — Avec beaucoup de force et d’éclat, en présence du représentant du sultan du Maroc, qui l’écoutait du haut d’une loggia, il a montré comment, à l’abri de nos couleurs, la sécurité renaissait, l’anarchie faisait place à l’ordre, les terres étaient cultivées, la civilisation fleurissait, et comment enfin la guerre coloniale était une œuvre de paix. Ainsi s’est achevé au milieu des bravos, ce discours varié, intelligent, nerveux et entraînant : paragraphes nets comme ceux d’un ordre d’opérations, style plein de faits, sans épithètes, syntaxe nue jusqu’à l’os, toute en présents et en infinitifs, formules brèves, phrases frappées et sonores, jugements et directives.

Quand on eut fermé le ban sur cette harangue, Mgr Duchesne, tourné à demi vers le général, la figure immobile, l’œil vif, la