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lumière tombant sur son crâne comme sur une coupole vénérable, par là d’une bonne voix apostolique. Quelquefois on distingue dans son discours une malice paternelle. Quand dans une lettre, le général Lyautey se décourage parce qu’un commandement vient de lui échapper, Mgr Duchesne l’admoneste et le réconforte : « Allons, allons, dit-il, ne pleurez pas. Tout cela, vous l’aurez ; il ne s’agit que d’attendre. » Et comme le général s’est excusé de l’insuffisance de ses titres littéraires, le prélat le reprend et lui montre les contradictions de ses paroles : « Vous avez beau dire que vos titres littéraires sont nuls ; pour nous le faire croire, il faudrait supprimer cette correspondance, et justement vous la publiez. » Il faut avoir entendu le ton d’affectueuse plaisanterie et d’indulgent reproche, dont Mgr Duchesne a dit ces mots, qui ont fait rire le public. Et il a ajouté : « Sans doute ce sont des lettres de soldat (on ne vous demande pas d’écrire comme un évêque), des lettres de soldat, mais d’un soldat qui a vu, qui a compris Athènes, Constantinople et Rome ; qui a ses cantines remplies des meilleurs livres du jour, qui du fond de l’Extrême-Orient, entretient, sur le ton le plus élevé, des conversations parisiennes. »

Il est d’heureuses rencontres. Le hasard, en désignant Mgr Duchesne pour recevoir le général Lyautey, a voulu qu’un historien eût ainsi à écrire une belle page d’histoire. Rien ne ressemble plus à ce qu’on dit de l’antiquité que ce qu’on voit aux colonies, et pour ma part la littérature classique ne m’a jamais paru si vivante que parmi les nègres du Soudan, qui ont encore les mœurs de l’Odyssée. Ainsi Mgr Duchesne s’est retrouvé au vif de ses études. Les sujets éloignés ressemblent aux sujets reculés et un voyage dans l’espace équivaut à un voyage dans le temps. L’historien de la primitive Eglise s’est trouvé à l’aise pour raconter l’œuvre accomplie à Madagascar et au Maroc. Il l’a fait dans le style le plus sobre et le plus pur, en donnant, sans y prendre garde, une beauté antique à ces gestes modernes. Lisez la rencontre du général avec les guerriers Zemmours sur la route de Fez. C’est une page romaine, et comme une rencontre de Scipion avec des chefs numides. Mais au fait est-ce autre chose ? Rien change-t-il ? Les héritiers des grandes traditions ne se ressemblent-ils pas d’âge en âge ? Je crois que le général Lyautey le pense et Mgr Duchesne aussi.


HENRY BIDOU.