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rendaient séduisantes. Les dames de Broglie, chez qui on le voyait souvent, l’appelaient le petit sauvage ; » et Mme de Tessé l’appelait « Néronet. » C’était la mode, en ce temps-là, une mode qu’on a revue : les personnes qui avaient l’intérêt le plus vif à ce que la révolution ne réussit pas l’ont de tout cœur favorisée ; elles trouvaient charmantes les idées qui, un peu plus tard, leur ont coupé le cou. Et quel émoi, d’une perversité quasi délicieuse, pour de gentilles femmes étourdies, de causer avec ce petit sauvage et ce petit Néron, qui leur fait peur et, d’un sourire, se rassure ! Barnave comptait parmi les « agréables » du parti des Enragés. D’Espinchal prétend que Mme de Beaumont, fille de Montmorin, celle qui sera l’amie de Chateaubriand, l’amie de Joubert, avait eu, — mais il est mauvaise langue, — une « faiblesse » pour « cet atroce législateur. » Cet enragé aimait le beau monde. Il évoluait dans le voisinage de la Cour et sa politique subissait l’influence d’une société la plus étrange qu’il y ait eue, la plus raffinée, la plus dérangée de ses croyances naturelles. Il n’a pas mal connu ces « aristocrates » qui étaient « républicains au fond du cœur. » Il les excitait ; et puis il les retenait à sa guise et, quand ils devenaient républicains, il devenait royaliste.

L’Assemblée nationale, ayant appris l’arrestation du Roi et de la Reine, envoya trois commissaires à Varennes, avec mission de ramener les fugitifs. Ce furent Petion, Latour-Maubourg et Barnave. Ils représentaient « les trois principales nuances de la gauche de l’assemblée nationale. » La voiture des commissaires et la berline royale se rencontrèrent entre Epernay et Dormans. Petion, qui était le doyen d’âge, aborda le Roi et lut le décret de l’assemblée. Le Roi répondit que jamais il n’avait eu l’intention de quitter la France. « Voilà, dit Barnave, un mot qui sauvera le royaume. » Barnave n’était pas si naïf et ne croyait pas qu’un mot du Roi dût sauver ni le royaume ni le Roi. Mais tout d’abord il essaye d’amadouer ses collègues et l’escorte en faveur du Roi et de la famille royale.

Pétion et Barnave montèrent dans la berline du Roi. Il y avait, dans cette berline, le Roi, la Reine, le Dauphin, Madame, madame Elisabeth et Mme de Tourzel. Petion dit au Roi : « Nous allons vous gêner, Sire, vous incommoder ; il est impossible que nous trouvions place ici. » Le Roi répondit : « Je désire qu’aucune des personnes qui m’ont accompagné ne sorte. Je vous prie de vous asseoir ; nous allons nous presser : vous trouverez place. » La Reine prit le Dauphin sur ses genoux ; et Barnave s’assit volontiers entre la Reine et