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le Roi. Mme de Tourzel prit Madame entre ses jambes ; et Petion s’assit volontiers entre Madame Elisabeth et Mme de Tourzel. Petion fut tout juste en face de Barnave et se mit à le surveiller.

Petion, Barnave et Latour-Maubourg s’étaient promis de surveiller le Roi et la Reine, sans doute, mais principalement les trois commissaires, et de se mettre en mesure de rendre témoignage, quelque jour, à propos d’eux. Ils se détestaient, ou peu s’en faut, ces trois commissaires. Seulement, l’aventure où ils se trouvaient réunis leur paraissait dangereuse : Petion ne quitterait point Barnave ; et, au retour, Petion recommandait à Barnave de dire que, pendant la route, ils ne s’étaient point quittés : « dans une mission si délicate, ce fait n’était pas à négliger. »

Il y a un récit du voyage, par ce Petion : « Depuis longtemps, dit-il, je n’avais aucune liaison avec Barnave ; je n’avais jamais fréquenté Maubourg. Maubourg connaissait beaucoup Mme de Tourzel ; et on ne peut se dissimuler que Barnave avait déjà conçu des projets. Ils crurent très politique de se mettre sous l’abri d’un homme qui était connu pour l’ennemi de toute intrigue et l’ami des bonnes mœurs et de la vertu. » Ce Petion, c’est un sot ; mais il a bien vu que Barnave, comme il le dit, avait des projets. Les projets de Barnave ne concernaient pas les bonnes mœurs et la vertu : c’était de l’intrigue et de la politique.

Mme de Boigne dit que la Reine « se loua des procédés de Barnave. » Mais oui ! Barnave était, auprès de Petion, l’homme du monde. Et Petion disait : « Nous allons vous gêner, Sire ! » tandis que Barnave, lui, savait ne pas être gênant. Voire, il fut aimable. Les méchants ont raconté plus tard que le malin jeune homme avait profité d’un moment où Petion se laissait aller à dormir, pour causer avec la Reine assez particulièrement. Pas du tout ! et Petion se gardait de fermer l’œil. Il écrit : « Nous arrivions insensiblement à Dormans. J’observai plusieurs fois Barnave, et, quoique la demi-clarté qui régnait ne permît pas de distinguer avec une grande précision, son maintien avec la Reine me paraissait honnête, réservé, et la conversation ne me semblait pas mystérieuse. Nous entrâmes à Dormans entre minuit et une heure… » Le lendemain, Barnave et Petion changèrent de place dans la berline : Petion fut assis entre le Roi et la Reine, Barnave entre Madame Elisabeth et Mme de Tourzel. Et n’est-ce pas là une malice de Barnave, qui put ainsi regarder la Reine et causer avec elle plus facilement ?

Petion, sans barguigner, racontait au Roi « ce que l’on pensait de