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Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/66

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petite chapelle du Drennec, où lui-même, dans la procession, montait une bête de son père. Il corrigea même mon ignorance d’un mot qui me fit croire d’abord à du scepticisme :

— Oui, dit-il avec une sorte d’ironie, il y en a qui croient que ça fait du bien aux chevaux !

Mais il ajouta tout d’un coup :

— C’est pas pour les chevaux que c’est bon : c’est pour les juments ! Ça empêche les maladies que leur jette le sorcier, — ar Sorcer.

.Nous continuions de causer, et il faisait presque noir (un soupçon de rouge traînant encore au-dessus des bois du Cosquer) quand se leva près de nous la grande pinède qui s’avance en demi-cercle sur la mer, masse obscure, émouvante dans la nuit, et ceinte par en bas de pierre paie :

— Sûr, dit-il en baissant la voix, que je voudrais pas descendre là tout seul, maintenant, pour y rencontrer les lutins !

Je ne sourcillai pas. Je sentais qu’il ne fallait rien montrer de ma surprise et de ma curiosité, que j’étais là, tout près du mythe primitif, comme devant une créature d’espèce à peu près disparue, sauvage, sur laquelle on arriverait à l’improviste, au creux d’un bois de France, et qui va s’effaroucher si l’on ne reste pas très tranquille, si l’on paraît seulement y faire attention. Comme s’il n’était question que des choses les plus naturelles, je le poussai très doucement, prudemment. Bientôt, il n’y eut plus qu’à le laisser aller. Il parlait vite et bas, comme qui a peur de dire ce qui fait peur :

— Les lutins ? Vous avez pas entendu parler ? Y en a partout par ici… Comment qu’ils sont faits ? Comme des hommes, donc, mais grands, grands ! — des géants, avec des figures de diables…

« … Comment je sais ? Mon défunt grand-père qui en a vu un, donc ! Oh ! ils se montrent pas à tout le monde. Mais, des fois, si on en dérange un la nuit, voilà qu’on est pris par les épaules, plié par terre, comme par un vent épouvantable, tellement que vous pouvez pas respirer. Et jusqu’au matin qu’il vous tient là ! Y en a qu’on a trouvés morts le lendemain, à l’endroit où le Lutin les avait pris. Il y a un homme, côté Porsmeiou, que le Lutin a laissé rentrer jusque chez lui, mais sans le lâcher, sans le laisser seulement se relever. Il est revenu à