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jeunes gens parlent de Simon, de son amour et de son bonheur. Quelqu’un a dit que parler d’amour c’est déjà un peu faire l’amour. Pauvre Simon !

Ce premier acte, très finement nuancé, a plu par sa grâce sinueuse. Mais c’est le second qui est un tour de force, et nous y avons bien vu que si Henri Guise est maitre de son cœur, M. Paul Raynal est, pour le moins, aussi maître de son art, qui est essentiellement l’art du dialogue au théâtre. Songez que cet acte est à deux personnages, qu’il est fait de rien, que tout s’y passe en conversation et que c’est une de ces conversations à mots couverts où il faut deviner tout ce qui ne se dit pas et souvent comprendre le contraire de ce qui se dit. Ce genre de dialogue, tout en tours, détours et retours, subtil, précieux, raffiné et coupeur de cheveux en quatre, a les meilleures chances pour mettre nos nerfs à l’épreuve et notre patience en déroute. A chaque instant, nous sentons qu’il s’en faut de rien et qu’avec un peu moins d’habileté ces exercices d’équilibriste sur la corde raide nous fussent devenus insupportables. Mais cette sensation même de côtoyer le péril est un plaisir singulier.

Veuillez, en outre, réfléchir à la situation de ce jeune homme et de cette jeune femme. La duchesse, oui est une petite duchesse, a fait venir chez elle Henri Guise pour la désennuyer, et tout de suite elle lui fait de la passion et des joies de la passion le tableau le plus engageant. Il n’y a qu’un mot qui serve : elle se jette à sa tête. Elle est jeune, elle est belle, elle est ardente : Henri n’a qu’à refermer les bras sur ce caprice qui s’offre. Or, nous sommes en pays gaulois : un homme ainsi sollicité et qui s’en va comme il est venu, est en grand risque de nous paraître ridicule. Et c’est à peine si nous sommes guéris du romantisme, dont c’est un des articles de foi que l’amour est bien meilleur quand c’est un péché, et qu’un peu de remords est fait pour en rendre la saveur bien plus piquante. Qu’un jeune homme plaide sans défaillance la cause de son ami et lui renvoie loyalement sa maîtresse, cela dérange toutes nos habitudes littéraires et manque à toutes les conventions. Pour faire passer cette dérogation aux usages, il fallait cet art subtil qui nous laisse deviner, sous la froideur voulue, le trouble, le conflit intérieur, enfin la lutte qui donne à ce dialogue, où tous les demi-mots portent, sa valeur dramatique.

Le troisième acte est un peu sommaire, un peu vide, et il brusque le dénouement ; mais il a le grand mérite de ne pas faire dévier la pièce, de lui donner sa conclusion logique et de ramasser