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cette conclusion dans un très beau mot de théâtre qu’à mon avis on n’a pas assez remarqué. Aline est revenue à Simon, pour obéir à Henri. Mais on n’aime pas par ordre, surtout par l’ordre de celui dont on voudrait faire son amant. Finalement Aline éclate et dévoile le vrai de son cœur. Simon, en entendant cette brûlante déclaration à l’adresse d’un autre, se tire un coup de pistolet. Alors Henri se jette sur lui et lui crie éperdûment : « Je ne t’ai pas trahi ! » Admirable mot de théâtre, parce qu’il résume et éclaire toute la pièce. Il veut dire : « Je ne t’ai pas trahi, malgré la tentation et la folle envie que j’en ai eue. Je ne t’ai pas trahi et pourtant j’ai besoin de le dire et de m’entendre le dire, pour en être moi-même plus sûr. Je ne t’ai pas trahi, puisque j’ai voulu ne pas te trahir. » Et c’est tout ce que nous soupçonnions, qui nous apparaît : tout le travail intérieur et caché, la crise d’âme profonde et secrète. Au rebours de tant de pièces qui sont faites pour un mot, c’est, — comme dans les Caprices de Marianne, — le mot qui jaillit des entrailles mêmes d’une pièce et qui en contient l’essence.

Cette comédie ingénieuse et brillante, pénétrante et légère, est-elle sans défauts ? Vous en seriez bien fâchés. Henri et Simon ne nous sont pas assez connus, leurs caractères sont trop superficiellement indiqués. On ne sait dans quel monde cela se passe et cette duchesse pour appartement de garçon ressemble trop à une dame pour chambre d’étudiant. Il y a un je ne sais quoi de mince et comme une sécheresse de dessin au trait. Qu’importe ? L’œuvre est originale, elle est neuve et de la meilleure nouveauté, celle qui ne cherche ni à surprendre, ni à déconcerter. Qu’elle ait été écrite avant ou après la guerre, elle est bien dans l’atmosphère d’aujourd’hui. A ceux qui se travaillent pour aller chercher très loin des formules d’art inédites, elle montre qu’en s’inspirant des meilleures et plus certaines traditions de notre théâtre, on peut atteindre à la modernité la plus aiguë.

Le Maître de son cœur est joué à la perfection, — et il fallait qu’il le fût ainsi, — par M. Vargas et par Mlle Briey, qui ont l’un et l’autre traduit avec une justesse pénétrante les mille nuances du dialogue.


RENE DOUMIC.