traité cette réponse d’insolente. M. Lloyd George a voulu n’y voir que de l’incohérence. Elle était cependant d’une très puissante logique et la rapidité avec laquelle Moscou a accueilli la demande d’armistice présentée par la Pologne, la cessation immédiate des hostilités, l’obéissance instantanée de l’armée rouge, ont prouvé avec quel art les Bolcheviks poursuivent la réalisation de leurs desseins. Ils peuvent maintenant affecter de se montrer bons princes, offrir généreusement de reprendre les négociations économiques, sourire à ceux qu’ils dédaignaient, réclamer la livraison du général Wrangel, et s’installer, les coudes sur la table, au milieu des conférences européennes.
En même temps, voilà la Pologne conduite par eux à la croisée des chemins. Sera-t-elle ramenée, par ruse ou par force, sous la tyrannie d’une nouvelle Puissance moscovite, plus impériale encore que l’ancienne? Restera-t-elle, au contraire, tournée vers l’Entente, dont la victoire a seule permis sa résurrection? Avant l’armistice, MM. Lloyd George et Asquith disaient eux-mêmes, avec raison, que l’édifice tout entier de la paix européenne allait se trouver ou consolidé ou renversé, suivant que la Pologne échapperait, ou non, à la défaite et au démembrement. Le sort de ce trop fragile édifice ne dépend pas moins du règlement qui interviendra pour rétablir l’ordre dans l’Est de l’Europe. Que les Bolcheviks arrivent sur les frontières d’Allemagne, par infiltration ou par endosmose, au lieu d’y parvenir par l’écrasement de la Pologne, les conséquences n’en seront pas beaucoup plus favorables. Dans l’état de trouble intérieur où elle est, l’Allemagne ne peut guère attendre de ce voisinage immédiat que des causes surabondantes d’agitation et de désarroi. Soit que le spartakisme s’y développe par contagion, soit que l’impérialisme s’y relève par l’exploitation de la peur et y réclame, comme le font déjà la Deutsche Zeitung et autres feuilles nationalistes, un nouveau partage de la Pologne entre l’Allemagne et la Russie, dans les deux cas, les Alliés et, en particulier, la France, seront menacés dans leur sécurité. Ne nous laissons donc pas aller, une fois de plus, à croire que la Providence de l’Entente se chargera de tout arranger à notre profit, sans que nous fassions, de notre côté, le moindre effort pour nous aider nous-mêmes.
Je sais bien qu’à Londres et même un peu à Paris, on reproche au Gouvernement du maréchal Pilsudski de s’être laissé entraîner au mirage de Wilna et de Kief et d’avoir rêvé, pour une Pologne, à peine sortie de son tombeau séculaire, des destinées trop grandioses.