Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/764

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

multiplient, s’élargissent hors de proportion avec leur nombre. Même impression que jadis, à Ceylan, devant un cortège d’éléphants caparaçonnés de pourpre et d’or pour une fête bouddhique. Il fallait les compter pour voir qu’ils n’étaient que dix. Mais plutôt qu’à des pachydermes, avec les demi-cercles successifs de leurs plastrons-boucliers, avec leurs lenteurs assoupies, celles-ci font penser à de grands crustacés, à des langoustes évoluant dans un vivier (ainsi, tout à l’heure, certaines des danseuses), à des crabes (ainsi les bancroches, si nombreuses, à démarche oblique), à des chéloniens, de noires tortues de mer, incrustées de précieux métal (ainsi les puissantes mères de famille, les quadragénaires maritornes). Et le plus étonnant, c’est quand ces masses, ces ors, apparaissent mêlés, pressés, autour des tonneaux de cidre, dans l’ombre enfumée d’une bâche. Somptueuse et bourdonnante confusion !


Mais, comme toujours, en ces assemblées d’une peuplade bretonne, ce qui produit toute la grandeur de reflet en l’approfondissant de significations spirituelles, c’est l’uniformité du costume et du type. Comme elle s’affirme en ces vingt femmes debout, là-bas, sur la dune, détachées sur le fond de l’espace, et qui nous présentent toutes la même silhouette grave, les mêmes noires alternances de velours et de drap, les mêmes quartiers éclatants aux côtés de la tête, la même nappe de cheveux : cheveux aussi droits, simples, sains, luisants, que les crins dans la queue d’un jeune cheval ! Et comme de jeunes chevaux en troupe, toutes sont pareilles, exemplaires complets d’un même type (leur immobilité ne laisse pas distinguer les bancroches, qui, d’ailleurs, sont toujours magnifiques).

Le parallélisme des attitudes (elles regardent vers la mer, elles ont l’air de chercher un bateau) ajoute à l’impression d’identité. Vingt bigoudens, mais toujours la même qui se répète. Les voici qui descendent ; un groupe de gars les croisent (c’est un trait du pays, ces théories alternées de garçons, de coquettes filles, qui semblent se répondre comme dans les chansons, les danses d’autrefois). Quelques-unes sourient. Il est si clair que ces hommes sont leurs hommes, de leur espèce, de leur clan, que ceux-là seuls peuvent les émouvoir. L’habit qu’ils portent, est de ligne aussi sommaire, de volume aussi massif. Les mêmes motifs d’un décor archaïque y