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dans le saut de loup ; on me gronda ; longtemps je la vis à la même place ; puis l’hiver vint, la neige, l’herbe nouvelle, et je n’y pensai plus.

Du côté du parc, une plate-bande longeait le fossé, plantée de rosiers alternant avec de petits ifs taillés ; un bassin rempli d’eau reflétait le ciel au milieu d’une grande pelouse d’où partaient de hautes futaies ; juste en face, le Mont Valérien était un banc de pierre sous une tonnelle toute rustique, un charmant et simple vieux banc, indiqué comme lieu de repos a la sortie des majestueuses allées.

Par une fin d’après-midi, je vis un jour deux femmes en blanc assises là ; je vis aussi qu’elles étaient tristes ; elles se levèrent et s’en allèrent lentement, en se tenant par la taille, autour de la pelouse, et puis rapetissèrent peu à peu dans une des allées en nef de cathédrale. Leur tristesse m’intrigua beaucoup ; je connaissais bien celle de maman ; mais maman me paraissait un cas unique ; et comme je ne rêvais que de jardins, je n’imaginais pas qu’on put promener un souci parmi des tilleuls aussi odorants et des marronniers aussi glorieux.


VII. — MALENTENDUS

Longtemps, j’ai couché sur un petit lit, séparé de celui de maman par un tapis de fourrure noire ; il était doux à mes petits pieds nus, et aussi à mes genoux lorsque je faisais ma prière.

Maman me bordait, me recommandait de m’endormir vite, soufflait la bougie, puis disparaissait par la porte du petit salon ; une dernière raie de lumière, la serrure grinçait, et j’étais dans le noir. Mes mamans décrétèrent un beau soir que je mettais trop longtemps à m’endormir ; elles me fixèrent un certain nombre de minutes au bout desquelles je serais privée de dessert pour le lendemain si mes juges me trouvaient encore éveillée ; bien entendu, les deux premiers jours, énervée par cette menace, je ne pus m’endormir, et je me passai de dessert ; le troisième jour, après avoir examiné à fond la question, j’estimai (et tout le monde me donnera raison) que j’étais victime d’une injustice et qu’il fallait en finir avec cette honnêteté de garder les yeux ouverts quand on ne dort pas !

Le soir venu, je fermai les paupières, en prenant grand soin