Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais tous plus ou moins courageux, dont les idées ont survécu à l’existence ministérielle et ont été secondées par l’instinct conscient ou non du sentiment national.


II

Tel est le cadre assez flou dans lequel s’est déroulée notre politique extérieure durant près d’un demi-siècle. Mais, si factices que soient les divisions historiques, lesquelles servent aux écrivains à classer leurs idées plutôt qu’elles ne répondent à la réalité des faits, cette longue période se subdivise comme d’elle-même en quatre phases successives.

Jusqu’en 1879, la France s’efface et se dérobe, tout entière adonnée aux soins immédiats et pressants de sa propre reconstruction. De 1879 à 1892, elle se relève peu à peu, se lance dans des entreprises coloniales variées qui révèlent à elle-même et aux tiers les ressources inépuisées de sa vitalité, et noue avec diverses puissances des relations tantôt assez intimes, tantôt simplement assez actives pour prouver qu’elle sort graduellement de l’isolement intégral où l’avait trouvée, puis laissée la néfaste guerre de 1870. Durant la troisième, qui s’achève en 1905, elle vit tant bien que mal, plutôt, mal que bien, dans l’équilibre européen ainsi à peu près restauré. Tout cela s’est accompli lentement, péniblement, à travers des crises intérieures souvent violentes, et dont la fréquence, par un bizarre synchonisme, est sensiblement la même que celle des expositions universelles de 1878, 1889 et 1900, qu’elles précèdent à un intervalle d’un ou deux ans à peine. Avec 1905 commence l’ère finale, où se prépare l’agression allemande ; les signes avertisseurs en sont assez nombreux et assez significatifs pour que la France s’arrache petit à petit aux rêves humanitaires et à l’influence corrosive des ferments de dissociation nationale ; qu’elle s’équipe progressivement en vue de la lutte prochaine, parvienne au terme fatal, sinon matériellement armée autant, qu’il eût convenu, du moins moralement retrempée à souhait, et déconcerte enfin ses ennemis en vérifiant une fois de plus ce jugement profond du grand cardinal[1] :

« Si la diversité de nos intérêts et notre inconstance naturelle

  1. Richelieu, Testament politique, 2e partie, chap. III.