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nous portent souvent dans des précipices effroyables, notre légèreté même, qui ne nous permet pas de demeurer fermes et stables en ce qui est de notre bien, nous en tire si promptement, que nos ennemis, ne pouvant prendre de justes mesures sur des variétés si fréquentes, n’ont pas le loisir de profiter de nos fautes. »

M. Schefer abonde en remarques sobres et sagaces sur la psychologie des masses, des partis ou de leurs principaux leaders aux moments capitaux de ces diverses étapes. Nul doute par exemple que les adeptes des régimes anciens n’aient ajouté, à la dépression quasi neurasthénique causée par le traité de Francfort, leur contingent personnel de rancœur et de lassitude dues à leur impuissance de restaurer une monarchie quelconque. Nul doute non plus que, lorsqu’il eut en 1879 achevé la conquête des pouvoirs publics, le parti républicain s’élança à la direction des affaires avec la juvénilité et l’ardeur que lui donnait sa foi vivace en lui-même et dans les destinées du pays. Mais, si ces catégories sont justement tranchées, bien des nuances se sont rencontrées dans le caractère des dirigeants de l’une ou de l’autre époque : si rapprochés qu’ils fussent par leur programme ou d’inertie ou d’action, il y avait de fortes différences, parmi les hommes de l’ordre moral, entre l’humeur quelque peu hautaine du duc de Broglie et la souple nonchalance du duc Decazes ; de même, dans la seconde phase, je vois encore la robuste énergie et les actes à lointaine portée de Jules Ferry trancher sur l’ondoyance fertile en expédients de M. de Freycinet ; puis, dans la troisième, la science des précédents et les préoccupations juridiques de M. Hanotaux alternèrent avec l’adresse ingénieuse, mais parfois inconsciente, de M. Delcassé, qui, au début de ce siècle, quand il jetait les fondations de notre système d’alliances contre l’Empire d’Allemagne, ne s’aperçut pas à temps qu’il y avait quelque contradiction à procéder dans cette voie, alors que, dans le même ministère, ses collègues de la guerre et de la marine détruisaient systématiquement et de propos délibéré les armes dont sa politique risquait d’avoir quelque jour besoin.

L’œuvre commune s’est poursuivie cependant, et elle s’est parachevée, à travers ces hésitations et ces contradictions, tantôt précédant, tantôt suivant, voire d’assez loin, les évolutions de l’opinion publique. Et, chose curieuse, c’est par les procédés