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Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/14

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Toujours avant de se décider, il suspend son jugement. Retiré dans un coin, il ferme les yeux, s’absorbe, paraît dormir et mûrit sa décision. Parfois, il prie qu’on retouche, qu’on recommence, et surtout qu’on élague, qu’on s’en tienne aux données essentielles, aux conclusions pratiques. Il veut du raisonnable, du facilement compréhensible, exposé dans des phrases courtes et en termes clairs. Il exige une ponctuation bien ordonnée. Ainsi s’affirme, dans tous les actes de sa vie, cette qualité de pondération qui est le trait caractéristique de sa nature, par-là véritablement supérieure et rare.

Cette qualité, il la communique à son entourage ; il sait admirablement faire travailler. Il ne parait exercer sur la recherche et le développement de l’idée, sur l’agencement de la forme aucune action directe, n’intervenant, semble-t-il, que lorsqu’il est sollicité de le faire. Cependant, il imprime fortement à tous et à tout sa marque : le sens pratique.

Confiant dans son bon sens naturel, il aime à s’entourer de jeunes esprits, audacieux et volontaires, et c’est sans doute le secret le plus précieux de sa méthode de travail. Il écoute moins patiemment les gens âgés. Il emprunte à tous, mais plus volontiers aux jeunes. Une fois la décision prise, d’où qu’elle vienne, comme nous l’avons dit, il la fait sienne. Dès lors, elle lui appartient, il la garde, jalousement, égoïste me nt ; le fruit de la collaboration de plusieurs est devenu son œuvre a lui : c’est lui qui va la traduire en acte.

Ainsi jugeant admirablement les hommes, sachant les intéresser à leur travail, les écoutant attentivement, les tenant sous une discipline calme et sans à-coups, il a su, chef véritable, créer autour de lui ces États-majors et, en particulier, ce grand quartier général dont l’histoire dira qu’il fut un des plus merveilleux instruments qu’un général ait jamais eu à sa disposition.

Quand il fut question d’appeler le maréchal Joffre à l’Académie française, il s’excusa trop modestement que les titres lui manquassent. Pourtant, il fit observer avec sa bonne foi ordinaire qu’il en avait un : c’était d’avoir contribué à former cette élite intellectuelle de nos États-majors d’armées, qui a sauvé la France.