Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

longtemps doit imposer aux électeurs délégués l’impression que le candidat ainsi introduit est celui qui est le plus fortement désiré par tout le pays et assurer son triomphe. Celle du colonel Roosevelt, voici quatre ans, dura trente-et-une minutes. Les partisans du général Wood aujourd’hui tiennent le record. Après quarante-sept minutes seulement l’agitation faiblit, les cris deviennent rauques, la clameur s’assourdit, s’épuise, s’éteint.

Suivent immédiatement l’introduction et le panégyrique attendus du sénateur Johnson. L’introducteur qui est, paraît-il, un orateur californien réputé, a voulu se surpasser. Il est inférieur à lui-même, probablement ; ce qui est sûr, c’est qu’il est au-dessous de tout ce que l’on pouvait imaginer ou attendre. Avec une belle aisance, une plus grande hardiesse, il assure d’abord que « tous les signes du Zodiaque sont aujourd’hui tournés vers le parti républicain, » ce qui cause quelque surprise. Un peu plus tard, on l’entendra affirmer que « le tombeau d’un soldat est le tombeau d’un soldat et un cœur de femme est un cœur de femme. » Le public qui, avant-hier, eût écouté, applaudi peut-être, ces redondances, pour n’en rien dire de pire, est aujourd’hui prévenu ; il s’impatiente sans politesse. Le bruit des conversations couvre de plus en plus la voix de l’orateur, qui s’obstine. Lorsqu’enfin il se tait, la nervosité de l’auditoire est telle que la manifestation traditionnelle, soigneusement préparée, chauffée par les organisateurs de la candidature Johnson est reçue sinon avec hostilité, du moins avec une évidente froideur. Les manifestants eux-mêmes, réfrigérés sans doute par la malencontreuse introduction, manquent d’entrain, de spontanéité. On sent chez eux l’effort. Il ne dure guère. La démonstration qui devait surpasser en bruit, agitation, enthousiasme, en durée surtout celle du général Wood, et de tous les autres candidats, mollit vite, dure vingt minutes à peine, s’apaise, et meurt. Avec elle meurent aussi la candidature Johnson, la menace d’une scission, l’opposition et la puissance des Irréconciliables.

C’est chose curieuse alors, et pour quiconque se trouve à portée de vue du sénateur Lodge, d’observer la contenance du vieux leader républicain. Le plus ironique, le plus radieux sourire éclaire la physionomie, plisse les yeux à les fermer ; la barbe elle-même semble sourire. Le vaincu d’hier est bien le triomphateur d’aujourd’hui.

La partie pour lui est en effet, — sacrifices faits et pertes