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Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/156

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ENTRE DEUX JARDINS

II[1]


VIII. — EN BATEAU-MOUCHE

Je crois avoir déjà dit que bon papa était féru du bateau-mouche ; le mot n’est peut-être pas respectueux, mais il est juste. Qu’il allât à la Bastille ou à la Glacière, bon papa prenait d’abord le bateau et allait aussi loin que possible ; puis il avisait. S’il m’emmenait, il n’y avait pas d’espoir d’un autre moyen de locomotion ; Dieu sait pourtant si j’aimais le brave Trocadéro-Gare de l’Est, à trois chevaux gris pommelé ; je me blottissais au fond ; le cocher escaladait son trône, s’entourait de sa couverture, et se fâchait régulièrement contre les chevaux impatients qui partaient avant qu’il ne fût prêt. On descendait à grand fracas la rue de Longchamp, dont les terrains vagues, en bas, me charmaient ; dans l’un, des lessives étendues claquaient au vent ; dans l’autre, des vaches paissaient tranquilles, autour d’une cabane royalement ornée d’opulents tournesols ; je ne savais pas au juste à quelle époque ils fleurissaient, mais je les attendais toujours impatiemment. Je raffolais des impériales de tramway d’où je plongeais si agréablement dans les entresols ; j’avais une profonde pitié pour les petites filles que j’apercevais dans de somptueux coupés et qui ignoraient tant de choses que j’apprenais au vol.

Quand maman me ramenait de mon cours de la rue de Rennes, il fallait souvent se contenter, pour remonter de la place

  1. Voyez la Revue du 15 août.