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Pendant trois jours, elle a soigné son fils ; elle l’a encouragé à mourir. Et, le troisième jour, il meurt. Elle lui ferme les yeux ; elle ne laisse voir aucune émotion. Comme son impassibilité scandalise les plus vaillants, elle répond : « C’est un bienfait de Dieu. Nous vivions sans religion, dans mon village. Dans mon village, personne n’a de religion, pas même le curé. Mon mari n’a vécu que pour le profit. Il est décédé en comptant son argent. Mes trois fils sont partis pour la guerre. Dans ma misère, j’ai retrouvé Dieu. Alors, je lui ai demandé qu’ils meurent en bons chrétiens. S’ils rentrent au village, ils recommenceront comme leur père à ne vivre que pour le profit ou, parce qu’ils sont jeunes, pour le plaisir. Je les connais. Dieu m’a exaucée pour celui-ci. De quoi me plaindrais-je ? » Ce raisonnement, d’une rigueur parfaite, n’a qu’un tort, qui est de n’être qu’un raisonnement. Il supprime le sentiment et n’a pas le caractère d’une pensée humaine. Et qu’est-ce qu’une religion qui n’est point humaine ? Au surplus, cette bonne femme irait au bout de sa logique et de son dévouement maternel, en tuant de ses mains ses trois fils après les avoir menés à la table de communion ! La véritable religion n’est pas dénaturée ni absurde. Et la religion de cette bonne femme a déplorablement subi le coup des souffrances morales que la guerre a infligées à tant de pauvres gens. Telle n’est pas la religion de Mme Bermance. Les consolations religieuses lui allègent la douleur qu’elle a de la mort de son fils, mais n’abolissent pas sa douleur. Semblablement, sa tendresse de mère ne sera pas amoindrie, quand elle apprendra que son fils a commis une faute, elle qui le croyait plus sage et plus fidèle à ses devoirs d’honnête homme et de bon chrétien ; mais, de savoir qu’il a dû se présenter devant le Juge céleste chargé d’une telle faute, lui aggrave péniblement sa douleur. Sa croyance ne la rend pas moins humaine.

Maria Ritzen, après la mort d’André Bermance, n’a point bougé de son village d’Alsace auprès de Thann. Un jour, elle écrit à Mme Bermance, qu’elle n’a pas vue encore, et la supplie de venir.

Mme Bermance ne sait pas du tout ce qu’il en est de Maria Ritzen. André, avant de monter pour la dernière fois les pentes de l’Hartmann, lui a seulement écrit que Maria Ritzen était la plus jolie fille de Thann et qu’il rêvait de l’épouser. Toute l’histoire d’André Bermance et de Maria Ritzen ; nous l’apprendrons en même temps que Mme Bermance et par cette Maria Ritzen… Dans un exemplaire de Sophocle, en marge de l’Œdipe roi, Racine avait noté que c’est une admirable exposition, celle qui renseigne tout à la fois le