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ENTRE DEUX JARDINS

III[1]


XI. — L’ESCALIER

C’était mon domaine en hiver ; il était incomparable. Aucun autre ne l’a jamais valu ; les escaliers blancs, tapissés de rouge ou de bleu, bordés de plantes vertes, que je grimpais quelques-fois derrière maman, n’avaient pas la moitié des perfections du mien ; d’ailleurs, ceux-là précédaient des salons où, pour une toute petite fille, il y avait des choses bien difficiles, bien nuancées, à faire. « Fais attention, recommandait maman il voix basse, de ne pas marcher sur ma robe en entrant. » Puis je savais qu’après avoir dit bonjour, une autre épreuve m’attendait ; je m’assiérais, sage et silencieuse, dans un coin d’où je compterais les tableaux, ou bien j’apprendrais par cœur les dessins du tapis ; mais tout à coup quelqu’un, par gentille pitié, me poserait une question, et la suprême difficulté, c’était la réponse ; quand on s’est enfermé dans le silence, on ne sait jamais au juste avec quelle voix on en sort ; va-t-on parler trop haut, ou au contraire si bas qu’on vous fera répéter ? Dans les deux cas, on sera jugée ridicule par maman ; et quand on s’en ira, après avoir évité une seconde fois de marcher sur sa robe, maman fera des observations en descendant les grands escaliers, sans se soucier des gens qui montent ou des domestiques qui écoutent d’un air goguenard. Depuis ces temps reculés, tout escalier m’a toujours attirée et intéressée. Je vous

  1. Voyez la Revue des 15 août et 1er septembre.