parlèrent tout bas de le faire achever et je dus beaucoup pleurer encore. Il y eut Tapabi et Tapayou, il y eut… mais non ; bon papa a parlé de ses chattes avec trop de grâce et d’agrément pour que j’en parle à mon tour[1].
La chatte quittait vite, avec un brrrou mécontent, mes genoux trop jeunes qu’elle jugeait trop étroits et peu confortables… Alors, ayant épuisé les ressources de l’intérieur, je me plongeais dans la contemplation de l’extérieur, et les fenêtres du cabinet de bon papa étaient un excellent observatoire ; de là, par les jours d’hiver détestés, je me consolais avec la vue de tout ce que les feuilles de l’été me cachaient ! Généralement, le ciel s’étendait comme un coton sale, épais et humide ; et sa lourdeur figée se communiquait aux choses du dessous.
Les choses du dessous ! Comme il y en avait ! quel enchevêtrement, quel fouillis bizarre dans la masse grise !
Mon gazon était une tache verte ; mais je le voyais peu ; je n’aimais pas, de ma fenêtre, baisser les yeux ; je savais par cœur les allées familières, le nombre des cailloux et les arbustes maigrichons.
Je regardais plus haut ; je voyais surtout, à côté et en face de chez nous, une fumée bleue ; que je l’aimais ! Elle n’avait ni la somptuosité des panaches blancs de mon cher chemin de fer, ni l’intérêt de ces fumées passant au large de Veulettes, sur la mer, annonçant les bateaux qui vont du Havre à Dieppe. Non, c’était une écharpe bleuâtre, sortant d’un pauvre petit tuyau brun, de travers entre deux cheminées rouges, sur un toit de tuiles que mangeait un peu de mousse. Son bleu était celui de la pervenche, peut-être, ou de certains lins ; je l’avais vu dans des yeux qui savaient être très deux ; je ne sais plus où je l’avais vu encore. Il se déroulait en un souple ruban, s’étirait, pâlissait, se resserrait en fonçant un peu, s’élargissait de nouveau pour se fondre comme une brume, comme un soupir, en enveloppant les branches toutes proches. Dans sa douceur, il était si vivant, qu’à lui seul, il animait mon paysage gris quand il se lançait par grosses bouffées ; quand il s’éteignait, quand le foyer invisible était vide de feu, et n’envoyait plus son âme, mon paysage guis devenait morne et mort comme une tombe qui n’est pas entretenue.
- ↑ Revue Scientifique (revue rose) des 30 septembre, 17 et 15 octobre 1899 : Mémoires de mes Chattes, par F. T. Perrens, membre de l’Institut.