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Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/520

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au profit de nos oppresseurs, souvent Polonais contre Polonais. Ce n’était pas seulement cruel, c’était encore démoralisant. Et qui se battait ? nos ouvriers, nos paysans ! La jeunesse riche, cultivée, sauf des exceptions magnifiques, s’est dérobée autant qu’elle a pu à un service militaire qu’elle ne pouvait certes pas considérer comme un devoir ; mais, du même coup, elle s’est soustraite au long et rude sacrifice que votre jeunesse intellectuelle accepte avec tant de généreuse ardeur…

« Enfin la libération est venue. Mais cette libération, je vous le dis comme je le pense, nous ne l’avons pas payée assez cher ; nous n’y avons pas contribué nous-mêmes dans une assez large mesure. Si nous l’avions acquise seulement de notre sueur, de nos larmes et de notre sang, nous opposerions aujourd’hui au danger qui menace de la compromettre une résistance plus vigoureuse et plus opiniâtre. Vous ne savez pas ce que c’est pour un peuple que d’avoir été esclave pendant cinquante ans ! Nous portons encore les stigmates d’une servitude détestée ; seuls les effaceront l’effort et le sacrifice. Voilà pourquoi je considère la lutte présente, la guerre enfin nationale, faite par le peuple tout entier pour sauver son existence et sa liberté, comme une épreuve salutaire, comme un baptême du sang, dont la Pologne sortira triomphante et régénérée.

« Ce peuple, qui peut vous paraître frivole et presque indifférent, est en réalité plein de bonne volonté et de courage. Mais qu’a-t-on fait, jusqu’à ces derniers jours, pour lui donner une idée exacte du danger qui le menace et de l’effort qu’il doit accomplir pour y échapper ? A-t-on seulement tenté de lui faire comprendre ce qu’il en coûte à une nation pour défendre son indépendance et pour interdire à l’envahisseur l’accès de son territoire ? Avez-vous rencontré des blessés dans les rues de Varsovie ? On cache au peuple les blessés, comme on lui cache le péril, comme on lui cache son devoir, et c’est le peuple qui montre au gouvernement le sien.

« Il y a deux manières de gouverner, celle de Kerenski, et l’autre. L’une s’appuie sur la persuasion, l’autre sur l’autorité. Je pense que la méthode Kerenski a fait ses preuves. Aux heures critiques surtout, on ne gouverne point par la persuasion : l’autorité est nécessaire. Notre armée est, non pas démoralisée, mais troublée par l’inquiétude vague que les bolchévistes ont des alliés à l’intérieur de la Pologne et qu’en cas d’échec elle