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d’une destruction totale. On a raison sans doute, tant que le moyen de protéger sur place les antiquités découvertes n’aura pas été trouvé. Pourtant, on ne peut s’empêcher de s’attrister, en songeant à l’effet que produiraient les ruines, si non seulement on en relevait les colonnes et les murs, comme on l’a fait partout, en Italie, en Égypte et en Grèce, mais si l’on y rapportait tout ce qui est emprisonné dans les musées, si les statues, les marbres, les mosaïques, les stucs coloriés égayaient de nouveau les surfaces nues des architectures et recommençaient à briller et à se réchauffer au soleil, — si l’on se décidait à étendre les fouilles autour de ces ruines trop clairsemées, si enfin on voulait sérieusement ressusciter Carthage !…


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Ressusciter Carthage ! Ç’a été le rêve du Cardinal Lavigerie. Son instauranda Carthagp répond au Delenda haineux et cupide du vieux Caton. Pour le grand archevêque, il ne s’agissait pas seulement d’une exhumation archéologique, mais d’une reconstruction de la ville morte, d’une véritable rentrée de la métropole antique dans la vie moderne. Pour donner en quelque sorte l’exemple à la nouvelle Afrique latine, il a bâti une basilique neuve sur la colline de Didon, d’Asdrubal et de saint Louis, — il en a pris possession au nom de l’Église et de la France.

On peut déplorer la présence de ces bâtisses modernes en ce lieu antique et vénérable entre tous. Ce couvent, cette église qui n’est ni mauresque, ni byzantine, ces constructions économiques sont un peu trop inégales à la majesté des souvenirs qui environnent Byrsa. À cause d’elles, les fouilles sont interdites sur tout le plateau de la vieille acropole punique. Bien plus, elles ont entraîné d’autres constructions qui, elles, déshonorent le site, — des hôtels, des villas, un bureau de poste. Sans parler de la laideur ou de la banalité de ces logis, leur présence est particulièrement déplorable en un terrain si fertile en antiquités, qu’on n’y peut bêcher sans ramener quelque débris : morceaux de bas-reliefs ou d’inscriptions, fragments de statues, fûts de colonnes ou chapiteaux. Mais ce qui est fait est fait. Il faut s’incliner devant l’horreur accomplie. D’ailleurs, la vie moderne se porte de nouveau vers Carthage avec un élan qui paraît bien irrésistible. En refera-t-on jamais, comme autrefois,