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un grand port de mer, une grande ville de commerce et de transit ? Trouvera-t-on de nouveaux mouillages ? Creusera-t-on de nouveaux bassins, plus profonds et plus vastes, à la mesure des paquebots et des cargos d’aujourd’hui ? En tout cas, c’est un lieu salubre et ventilé, plus agréable à habiter que Tunis en n’importe quelle saison. Aussi les Tunisiens émigrent-ils volontiers vers Carthage, qui est en passe de devenir une station estivale, avec hôtels, casinos, restaurants et guinguettes. Dès aujourd’hui, les pentes de Byrsa et la campagne qui regarde le golfe se couvrent de villas de tout style et de toute dimension.

Le cardinal, qui était un grand voyant, avait eu sans doute la vision anticipée de cet exode. Mais, en prononçant son instauranda Carthago, il entendait concilier les exigences de la vie utilitaire avec le culte du passé et de ses monuments. A côté de la Carthage neuve qu’il rêvait, il voulait faire sa place aussi à la Carthage antique ressuscitée. Ce serait une capitale pour l’archéologie comme pour la politique. Rien ne le prouve mieux que la brochure retentissante qu’il écrivit dès 1878, avant même l’occupation française de la Tunisie, et qu’il intitula : De la nécessité d’une mission archéologique permanente à Carthage.

Ce faisant, il se proposait sans doute de travailler pour la science, de fournir de nouveaux documents à l’archéologie et à l’histoire, mais sa grande idée, c’était de rétablir dans tout son éclat le siège métropolitain de Carthage, en rappelant ce qu’il fût aux premiers siècles de l’ère chrétienne. Aussi, dès que les murs de sa basilique primatiale furent debout, il s’empressa d’y faire inscrire en majuscules dorées ce texte emprunté à une lettre du pape Léon IX aux évêques africains alors persécutés et dispersés : « Il est hors de doute que l’évêque de Carthage est le premier archevêque après le Pontife romain et le plus grand métropolitain de toute l’Afrique. Et ce privilège, obtenu une fois pour toutes du Saint-Siège apostolique romain, il ne peut le perdre au profit d’aucun autre évêque africain, de n’importe quelle partie de l’Afrique, mais il le conservera jusqu’à la fin des siècles et tant qu’on y invoquera le nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, soit que Carthage en ruines reste déserte, soit qu’elle ressuscite glorieusement un jour, — sive resurgat glo.riosa aliquando !… »

Le beau texte, et combien émouvant sous sa forme impersonnelle et quasi lapidaire ! Il y a, dans ces phrases latines,