n’éveiller aucune susceptibilité. Ce coup d’œil rétrospectif nous permettra de mieux apprécier les conclusions, forcément encore incomplètes, auxquelles ont abouti les deux gouvernements.
Lorsque l’Allemagne nous a déclaré la guerre, l’Italie était engagée dans les liens de la Triple Alliance; mais des lettres échangées, en 1902, entre notre éminent ambassadeur, M. Barrère, et le gouvernement royal, nous donnaient expressément l’assurance qu’en cas d’un conflit entre l’Allemagne et nous, nos frères latins ne prêteraient pas leur concours militaire à nos ennemis, si nous n’étions pas les agresseurs. L’Italie n’était, du reste, l’alliée de l’Autriche que pour se défendre contre l’Autriche et elle n’avait aucun désir de la fortifier aux dépens de la Serbie. Elle a donc mis, en 1914, beaucoup d’empressement à nous promettre sa neutralité et elle nous a rendu ainsi deux grands services, l’un d’ordre matériel, parce que cette neutralité nous a immédiatement permis de dégarnir la frontière des Alpes; l’autre, d’ordre moral, parce que l’Italie, en refusant de seconder l’Allemagne, a par-là même proclamé que la France n’avait aucune responsabilité dans la guerre.
Mais il n’y a point à nous dissimuler qu’en se déclarant neutre, l’Italie avait, avant tout, comme il était naturel, consulté son propre intérêt. Dès le 18 octobre 1914, M. Salandra, alors Président du Conseil, précisait avec une éblouissante clarté le point de vue permanent de son pays : « Ce qu’il faut, disait-il sans ambages, c’est nous affranchir de toute préférence, de tout préjugé, bref de tout autre sentiment que celui d’un égoïsme sacré au profit de l’Italie. » Cet intelligent réalisme s’est aussitôt manifesté dans les moindres gestes de notre grande voisine et amie. Elle s’est hâtée d’entamer avec l’Autriche, sous les auspices du prince de Bülow, des négociations où elle a déployé toutes les ressources de son admirable diplomatie. « Si vous voulez, déclarait-elle à son ancienne alliée, que je ne sorte pas de ma neutralité, pour me joindre à la Russie contre vous, donnez-moi, au moins, quelque dédommagement. L’article 7 de la triple alliance ne prévoit-il pas que, si le statu quo est modifié à votre avantage dans les Balkans, j’aurai droit à compensation? » L’Autriche comprit à demi-mot et fit cette offre que M. Giolitti était si fermement d’avis d’accepter et qui aurait permis à l’Italie de recevoir le Trentin sans tirer l’épée. Mais le gouvernement italien, trouvant le parecchio insuffisant, amorça, en même temps, avec la Russie, l’Angleterre et la France, d’autres pourparlers, qui furent suivis à Londres, auprès de Sir Edouard Grey, aujourd’hui Lord Grey, par le Marquis Imperiali.