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« histoire » que le poète a portée en lui si longtemps, puisqu’il ne la réalisa dans le roman que près de vingt ans plus tard, « cette histoire toute simple, tout intérieure, » comme dit Sainte-Beuve, nous savons que c’est ici dans cette maison de Saint-Maurice, que Fromentin en a vécu quelques-unes des phases principales, qu’à l’aide de ses souvenirs d’enfance, des rappels de sa jeunesse, il l’a méditée, et que, le cœur pacifié, revenu de bien des affres et de bien des deuils, il en a mené à bien le long travail.

L’une des hautes fortunes littéraires du siècle, Dominique, ce grand beau livre qu’aimait George Sand, que Sainte-Beuve a loué, que Flaubert assure avoir lu « tout d’un trait, » dont Edmond Scherer a déclaré qu’il était de ceux qu’il relisait « une fois tous les ans, » ce livre-là n’a pas, comme René, reçu son inspiration du site grandiose et tourmenté, du décor féodal d’un manoir ancien. Rien ici de Combourg, de son âpre grandeur, du fracas de ses légendes ; mais, bien au contraire, la rusticité, la simplicité même avec, dans l’ensemble de la construction à un rez-de-chaussée, quelque chose de cet aspect agreste, voire rural, que peuvent présenter à Milly la maison de Lamartine, celle de Mistral à Maillane, au Cayla la demeure paysanne d’Eugénie de Guérin.

« Un logis campagnard dont les bâtiments bas, blanchis à la chaux, séparent une cour d’entrée d’un vaste jardin, » voilà comment M. Blanchon a vu la maison de Fromentin à Saint-Maurice et comment cette maison se présente réellement. La cour d’entrée est un vaste quadrilatère flanqué de communs à droite et à gauche, et dans sa nudité, sous le jour éclatant, donne tout à fait l’impression de ces cours silencieuses, envahies de soleil, des mas provençaux. Nous saluons, dès l’entrée, un figuier noueux, robuste, aux feuilles épaisses, dont, nous dit-on, Fromentin goûta des figues.

Des hirondelles en troupe pressée, poussées par le vent qui vient de la mer, font entendre de petits cris joyeux, et tandis qu’elles se posent, en secouant leurs fines ailes au long des gouttières, le cœur battant, nous songeons à ces lignes du Sahel, belles comme une élégie, et que Fromentin composa loin de la France, sous les palmiers de la caravane : « Connais-tu, ai-je dit à l’oiseau, sur une côte où j’aurais pu te voir, un village blanc dans un pays pâle, où l’absinthe amère croît jusqu’au