— Comment vous montrer si timides en Rhénanie, s’écrie-t-elle ? Comment avoir accepté le Prussien von Stark pour représenter des Palatins, des Hessois, des Nassoviens et des Rhénans ? Comment permettre à des ministres prussiens de venir, au nez de vos autorités, prêcher la résistance aux fonctionnaires apeurés ?
Je ne sais bien entendu que répondre : timidement, j’objecte l’existence du Reich, notre situation d’occupants. Elle hausse les épaules.
— Le Reich n’est qu’un nom. J’étais ici aux heures sombres de la Révolution et de l’armistice : je vous affirme que nul alors n’y pensait et qu’il ne venait à personne l’idée que ces pays pussent retomber sous la botte du Prussien. On ne savait pas au juste comment l’Entente procéderait. Mais on croyait qu’à tout le moins, elle ferait de cette terre rhénane un pays indépendant, comme il le fut si longtemps aux siècles des Électeurs et des républiques, bourgeoises. On parlait déjà de la formation d’une nouvelle Belgique et je vous assure qu’il était des hommes d’affaires pour escompter l’essor économique de cette Rhénanie ressuscitée. Mais rien ne fut fait, et rien ne se fait. Et les plus riches d’espoir se découragent.
Je parle à Mme S. du Dr Dorten, qu’elle connaît. Elle m’en fait un grand éloge, mais me dit que, dans l’isolement où on l’a laissé, il est à craindre qu’il ne finisse par succomber.
— Les pangermanistes n’hésiteront pas à le tuer, comme ils l’ont tenté l’autre jour, comme ils l’ont fait pour Liebknecht, comme ils le feront pour tous ceux qu’ils craignent.
Dans le petit salon est entré un ami, — Une tête de Latin aux yeux vifs derrière le binocle, — Mme S… me le présente, et le nouveau venu, le professeur V… Rhénan de vieille souche, sourit :
— Je suis également professeur, dit-il doucement, et de littérature française.
Et il m’apprend qu’il a vécu deux ans à Nancy, un an à Paris. La plupart de ses vacances, il les passait en France, qu’il connaît toute. Que de Rhénans décidément ont séjourné en France !
Celui-là n’est pas aussi catégorique que Mme S. Il parle d’ailleurs douloureusement de « la misère de la pauvre Allemagne, » et il paraît croire que la guerre est due à l’agression des