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la réaction ! » Sur une, j’ai même noté : « A bas le militarisme prussien ! » Tout ce monde marchait en silence et au pas. De temps en temps seulement, en passant devant la maison de quelque enrichi de guerre, — et Dieu sait si l’Allemagne en possède ! — quelques imprécations s’élevaient : « Schieber ! » Les figures étaient graves, résolues. On sentait vraiment que celle manifestation n’était pas une mascarade : une force s’affirmait, ainsi qu’une volonté.

D’autres cortèges semblables, me dit-on, se sont déroulés à Cologne, Trêves, Worms, Ludwigshafen.

Pour la première fois peut-être depuis que je suis ici, tous les Rhénans ont senti en la Prusse l’ennemie, en notre France la protectrice naturelle et nécessaire.


2 avril.

La Haute Commission vient de ratifier toute une série de décrets édictés à Berlin par le Reich, de décembre à mars, qui interdisent en fait tout trafic entre la France et la Rhénanie. Désormais, pour importer en territoire occupé ou pour exporter du Rhin vers la France, il faudra demander l’autorisation à Berlin. On devine l’accueil que les bureaux des ministères prussiens réserveront à nos négociants. Ce n’est pas tout. Ordre, également ratifié par la Haute Commission, est donné à tout Commerçant de Rhénanie, Français ou non, de liquider avant le 30 juin tous les stocks français qu’il possède en magasin, faute de quoi ceux-ci seront vendus d’office au profit du Trésor allemand. En lisant ces décrets rendus par un vaincu contre un vainqueur en pays occupé, on reste stupéfait !

C’est l’effondrement du commerce français en Rhénanie. Aussi l’émotion est-elle extrême dans tous les milieux d’affaires. Mon ami D… cet industriel flamand qui était arrivé ici plein de vaillance et de foi, vient, indigné, m’annoncer son départ.

— C’est la ruine pour moi, et pour tous ceux qui, sur la foi des traités, sur l’appel des autorités françaises, étaient venus s’établir en ce pays. En quelques mois, malgré les difficultés que, dès la ratification du traité de paix, la Prusse s’ingéniait à dresser contre nous, malgré cet abusif paiement des droits de douane en or, nous étions arrivés à des résultats inespérés. Je crois bien que, depuis l’automne 1919, nous avons vendu pour