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enfant béni que Dieu a marqué en naissant pour en faire un noble pauvre ! Et nous ne nous chargerons pas de décider où est le substantif, où l’adjectif dans cette combinaison de deux épithètes également laudatives.


II

Le Péché de Monsieur Antoine est un récit d’allure plus optimiste encore, exprimant une entière confiance dans les réalisations sociales d’un très prochain avenir. Le charmant début du livre est de couleur à peu près purement poétique : il nous fait souvenir que l’ère des romans paysans, l’ère des chefs-d’œuvre sans conteste, est désormais commencée pour l’auteur (avec son livre intitulé Jeanne). Nous assistons à un orage nocturne dans le pittoresque pays de la Creuse, sur les bords de la Gargilesse, où la dame de Nohant venait alors séjourner de temps à autre. Le fils d’un grand industriel qui est en train de « prolétariser » méchamment ce pays champêtre, le jeune Emile Cardonnet, surpris par la bourrasque, se réfugie dans les ruines d’une forteresse féodale, nommée Chateaubrun. Ces ruines abritent encore le dernier des comtes de Chateaubrun, M. Antoine, un exquis gentilhomme-paysan, en compagnie de sa fille la délicieuse Gilberte, et de son unique servante, l’originale et dévouée Janille. Le comte, ruiné par la Révolution, a dû se faire charpentier sous la direction de son frère de lait, l’artisan Jean Jappeloup, qui ne lui a pas ménagé les semonces, ni même les injures au cours de son apprentissage. Après quoi, il a exercé dans le pays cet honorable métier que la tradition évangélique attribue au père nourricier de Jésus. — Ne le prenons pas trop au sérieux comme ouvrier cependant, car George Sand nous apprendra par la suite qu’il fut un travailleur « pour rire » et qu’il « avait l’air » de faire de l’ouvrage plutôt qu’il n’en abattait véritablement. De la façon dont il nous fut présenté, il gardera toutefois l’auréole du travailleur manuel, et, par-là, le droit à l’alliance divine privilégiée, selon le canon de Jean-Jacques.

A M. Antoine, le gentilhomme descendu vers la vie du peuple, s’oppose, comme une vivante antithèse, le manufacturier Cardonnet, son voisin, self made man qui est en train de révolutionner le pays de la Gargilesse où il a introduit la grande industrie moderne. Cette industrie nous est décrite