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de février. Nous avons nommé Louis Bonaparte. Rappelons que Sand avait été avec lui en relations épistolaires, tandis qu’il était captif au fort de Ham, à la suite de ses tentatives insurrectionnelles ; ils se communiquaient leurs rêveries humanitaires et communiaient dans un analogue mysticisme social. Par-là s’était créé entre eux un lien que la grande femme de lettres ne jugea nullement opportun de rompre lorsque le prétendant se vit porter par les événements au pouvoir ; elle devait obtenir beaucoup de lui, après le coup d’Etat de décembre, en faveur des démagogues menacés dans leur liberté ou même dans leur vie.

Elle parut donc accepter tout d’abord sans trop de répugnance cette solution imprévue de la crise sociale, qui fut la dictature non pas du prolétariat, comme elle l’avait annoncé, mais d’un fils et d’un neveu de souverains. Elle s’efforça seulement d’interpréter une telle péripétie dans le sens de sa foi démocratique. La grande prêtresse du mysticisme social fit mine de s’avancer avec solennité, comme jadis le métropolitain de Reims, pour oindre au front le nouveau chef d’Etat du saint-chrême de la religion rousseauiste : « Je vous ai toujours regardé, lui écrira-t-elle le 20 janvier 1852, comme un génie socialiste. Dieu vous impose à la France. Pénétrée d’une confiance religieuse, je croirais faire un crime en jetant, dans cette vaste acclamation, un cri de reproché contre le Ciel, contre la nation, contre l’homme que Dieu suscite et que le peuple accepte ! » Napoléon sourit sans doute, dans sa moustache cirée, à ce vocabulaire qui rappelle celui du pape Léon se portant au-devant d’Attila ; mais il s’inclina dans une attitude de discrète courtoisie, et, lorsque Sand réclama de lui clémence ou amnistie au nom du Dieu dont elle se disait l’interprète, elle fut plus d’une fois écoutée et se montra quelque temps reconnaissante.

Devant cette capitulation, plus ou moins voilée de componction dévote, les coreligionnaires de la transfuge ne se firent pas faute de crier à la trahison, ce qui eut pour effet de l’exaspérer : « Cela m’inspire, écrit-elle à Hetzel, un profond mépris et un profond dégoût pour l’esprit de parti, et je donne de bien grand cœur, non pas au Président qui ne me l’a pas demandée, mais à Dieu que je connais mieux que bien d’autres, ma démission politique ! » Et les récriminations se font, sous sa plume,