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Pologne, c’est-à-dire pour l’affranchir de la domination juive, considérée comme étrangère et ennemie.

Des ennemis, les Juifs de Pologne le furent effectivement pendant la guerre. Leur hostilité ne se manifesta pas trop, tant que dura l’occupation russe, parce qu’ils voyaient toujours dans les Russes les adversaires et les persécuteurs de leur race ; elle ne se dissimula plus, devint redoutable et odieuse le jour où les Allemands entrèrent à Varsovie : l’autorité allemande trouva dans le Juif un allié précieux, un complice enclin à accepter les plus infâmes besognes, pratiquant la délation et l’espionnage avec délices. En Galicie, les Juifs, après avoir servi les Autrichiens, servirent les Ruthènes. A Lwow, aux jours de novembre 1918, on vit des femmes juives vider de leurs fenêtres des pots d’eau bouillante sur les volontaires polonais.

Pourquoi les Juifs préfèrent-ils les Ruthènes aux Polonais ? la raison donnée par l’un d’eux, avec une simplicité cynique, est que les paysans ruthènes étant plus lourds, moins intelligents que les Polonais, seraient plus faciles à « rouler. » Mais laissons-là les anecdotes et les légendes : combien en ai-je recueilli de la bouche des Polonais, et comme elles étaient chargées de haine et de mépris ! La vérité, facile à reconnaître, est que la masse juive constitue dans les villes de Pologne un élément étranger, souvent hostile et malaisément assimilable.

Je n’avais connu avant la guerre que les ghettos de Galicie, qui m’avaient semblé caractéristiques. Mais c’est à Lublin qu’il faut aller pour observer, dans toute la perfection de son type, le Juif polonais : je dis pour observer, et non pour comprendre, car je ne pense pas qu’un chrétien, du moins un chrétien d’Occident, puisse jamais rien comprendre aux juifs d’Orient. Les Israélites, qui constituent à Lublin 51 p. 100 de la population, occupent exclusivement la vieille ville. On sort des quartiers neufs, groupés autour d’un long boulevard sans caractère, on passe sous la Porte de la Trinité, et l’on entre dans un autre pays, dans une autre époque. Des rues tortueuses, descendant à pic dans le ravin qui sépare la ville du château ; des maisons sordides, dont les portes en bois massif sont plaquées de bandes de métal bizarrement découpées ; des places étroites, tout encombrées de détritus et d’ordures : et, grouillant là-dedans, une foule mobile, affairée, inquiétante. Les hommes portent les bottes, la longue lévite noire et la casquette sans visière :